Les Noces de Figaro à Verbier, mariage de saison
Bien sûr, il y a des symphonies, des concertos, des sonates et de la musique de chambre à n’en plus savoir quel concert choisir. Mais le Verbier Festival, c’est aussi du chant, et tous les ans, les représentations lyriques comptent parmi les temps-forts de la quinzaine, ce que confirme cette édition 2024. Ainsi, alors que le grand rendez-vous alpin se terminera avec Falstaff, et que Thomas Quasthoff aura eu droit à une soirée jazz célébrant ses 50 ans de carrière, place est d’abord faite aux Noces de Figaro qui, sous la blanche structure de la salle des Combins, attirent un public très nombreux.
Comme de coutume, c’est en version semi-scénique qu’est donné ici l’opéra, avec une mise en espace de John Fisher (qui assure aussi également le continuo) visant à l’essentiel : un fauteuil pour figurer une première chambre et parce qu’il faut bien cacher Chérubin, un porte-vêtements portatif pour faire office de chambre de comtesse, une table ronde pour signer les contrats de mariages. Voici pour les quelques éléments matériels placés sur l’avant-plateau, dessinant un sobre univers où les personnages aux costumes d’aujourd’hui tapent sur les parois délimitant la scène pour frapper aux portes, et ferment celles-ci… en mimant des gestes de clés dans le vide. Mais à vrai dire, l’essentiel est ailleurs : dans la voix.
Et l’une d’elles se distingue d’emblée : celle de la rayonnante Susanna d’Anna El-Khashem, dont l’apparition dans une robe fuchsia annonce d'emblée la couleur. Clarté du timbre, délicatesse d’émission, vibrato nourri mais jamais trop opulent : cette camériste a de la prestance et de la présence, avec un sens de l’incarnation qui en fait une femme faussement ingénue, bien plus maline que simplement taquine. Figaro ne peut que céder aux charmes vocaux et scéniques d’une telle Susanna, lui qui se trouve campé par Tommaso Barea. Endossant le rôle avec gourmandise, le baryton-basse charpenté a pour base un solide medium, l’émission est soignée et la diction aussi (avec des "r" généreusement roulés). D'autant que ses manières roublardes de s’adresser à ces dames concourent à parer ce jeune effronté de traits joueurs et badins (manque simplement une gestuelle un peu plus naturelle).
Peter Mattei, d’un séducteur à un autre
Le Comte est porté par Peter Mattei qui a ses repères in loco, après avoir été Don Giovanni il y a deux ans (notre compte-rendu). Et la recette est ici la même, à la différence que le séducteur finit cette fois par demander pardon. Mains dans les poches, costume impeccable, voici un noble charmeur plus à ses aises que jamais, servi par une voix dont le timbre demeure brillant, l’élocution saillante, et la ligne vernissée. Quant à l’homme qui se croit fatal avec des airs d’adolescent sûr de son fait, il a tôt fait de redevenir intraitable et colérique lorsqu’il se sait dupé.
Golda Schultz dessine une Comtesse semblant bien moins frappée au cœur par les infidélités de son époux, que lassée par celles-ci, laissant transparaître bien plus une forme de ras-le-bol naissant qu’une véritable nostalgie de l’idylle des premiers jours. Il ne s’agit pas de se lamenter, sinon de rêver à des jours meilleurs. La voix, ainsi, ne part jamais dans des sonorités disant le feu et la colère (hors quelques aigus vaillants), gardant néanmoins une noblesse constante dans une émission polie sur le fil d’une belle longueur de souffle.
La Suédoise Rebecka Wallroth prête à Cherubino son mezzo au joli relief sonore, chaud et mordant, avec une ligne vocale où la note et le mot, unis par les liens d’un sens certain de l’esthétisme mozartien, partagent le même souci de l’expressivité la plus poussée. Le Serbe Mark Kurmanbayev est un Bartolo qui se remarque : vocalement, avec sa basse puissante, et scéniquement, avec ce regard perçant et sa gestuelle généreuse. Avec son mezzo net de timbre au medium rond, Kitty Whately est une Marcellina bien investie dans son rôle à double face, d’abord taquine lorsqu’elle se croit fiancée, soudain plus grave lorsqu’elle se découvre mère. Barbarine a de Meigui Zhang la voix aussi assurée que distinguée, et le Basilio de Michael Bell la projection appliquée mais au timbre un peu nasal. Enfin, Antonio est porté par Redmond Sanders au baryton hardi, quand, furtivement, Adam Catangui dévoile un Don Curzio au ténor à la riche moelle sonore.
Sans baguette, mais avec des gestes expressifs de haut en bas du corps, et avec ses manières de parfois croiser les bras et tourner le dos à ses musiciens pour mieux se faire spectateur des récitatifs, Gábor Takács-Nagy dirige d’une main de maître le Verbier Festival Chamber Orchestra. Un effectif de jeunes musiciens dont l’enjouement, la justesse, et la discipline, servent parfaitement la musique de Mozart, avec des vents qui au besoin vont jusqu’à se lever pour mieux accompagner les arias.
Le Chœur de l'atelier lyrique de l'académie du festival, quoique peu fourni, voit aussi ses membres faire montre d'une belle application et homogénéité dans la fusion des voix.
À la fin, leur chef invite cette fois tous les instrumentistes de l’orchestre à se lever, pour venir recueillir, aux côtés des chanteurs, une ovation longue et nourrie.