Dis-moi Vénus, ou l’amour en musique au temps de Louis XV à Versailles
Smokings et robes de soirée complètent ce soir le portrait et la parure de ce lieu, cet Opéra Royal en format Gala prenant des allures de chic rendez-vous estival. Le programme est entièrement dédié à la musique en vogue sous le règne de Louis XV, période de transition fastueuse s’il en est, où la musique lyrique est progressivement passée du Baroque tardif avec Mondonville et Rameau à un Classicisme naissant comme chez des compositeurs moins connus du grand public, tels Duni, Rebel ou Zingarelli.
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Le Chœur de l’Opéra Royal de Versailles (quoiqu’en effectif réduit résultant en un relief un peu amoindri pour chacune de ses interventions) déclame avec conviction les quelques interventions qui lui sont confiées, avec une douce couleur homogène, un éclat argenté dans les scènes animées et un soin rigoureux porté au texte.
L’Orchestre, maison également, sous la baguette successive de Gaétan Jarry pour la partie française puis de Stefan Plewniak pour la partie italienne, montre ici que le cœur du répertoire XVIIIe siècle est bel et bien son cheval de bataille, avec une égalité des pupitres et une fougue très perceptible, mais aussi sachant s’épancher en de grands traits langoureux dans les moments plus élégiaques, notamment dans la Chaconne de Platée.
Des danseurs de l’Opéra Royal chorégraphiés par Pierre-François Dollé illustrent d'une manière assez schématique les scènes chantées, et le chœur effectue quelques déplacements succincts réglés par Charles di Meglio.
Marie Perbost, habituée de cette scène, déploie ici en un programme étoffé ses multiples talents de chanteuse mais aussi de comédienne, car elle réussit à incarner d’un air à l’autre la jeune bergère effarouchée, la nymphe espiègle ou encore les grandes figures de tragédiennes mythologiques, avec justesse et faconde.
Elle goûte clairement et visiblement son vif plaisir à dresser des mini-scènes de théâtre en un clin d’œil et en un changement de robe, mutinant à l’envi (parfois jusqu’à la limite du cabotinage) mais sachant aussi se montrer grave et tragique comme dans son interprétation émouvante du "Cruelle Mère des Amours" extrait d’Hippolyte et Aricie de Rameau.
Autant à l’aise scéniquement que vocalement, elle laisse rayonner sans effort apparent son soprano central et rond, avec un médium très enrobé et des graves bien ancrés qu’elle poitrine avec élégance, sans jamais assourdir ou écraser les sons, tandis que ses aigus, toujours teintés de cette couleur cuivrée, jaillissent avec rondeur, affichant une maîtrise de l’aperto-coperto (ouvert-couvert) très aboutie. Variant les couleurs et les nuances, elle finit de séduire un public attentif avec le grand air de la Folie dans Platée de Rameau, décomposant les vocalises vertigineuses de l’extrême grave à l’extrême aigu avec une précision et une régularité remarquées.
Nicolò Balducci, qui la rejoint pour une deuxième partie axée sur la musique italienne de la même époque, semble lui aussi s’amuser infiniment à changer ses personnages, dans les accents tragiques qu’il donne à son Rinaldo (Haendel) ou encore en se lançant avec une virtuosité indéniable dans le "Son qual nave ch'agitata" de Broschi (rendu très populaire par le film Farinelli). Il sait aussi faire montre de sa longueur de souffle et d’accents poignants dans les vocalises redoutables de l'air "Ombra adorata aspetta" du Roméo et Juliette de Zingarelli (Franco Fagioli chantera cet air en Roméo dans deux semaines in loco, tandis que Nicolò Balducci sera Gilberto).
Le débit frénétique des doubles croches infinies semble n’être qu’un jeu pour le contre-ténor italien, il en profite pour parsemer ses interprétations de moues enjouées et de clins d’œil enjôleurs, qui s’ils versent parfois dans l'excès, ravissent le public qui acclame les artistes après le retentissant "Forêts paisibles" des Indes Galantes, tenant lieu de bis final.