Tosca à l’Opéra de Paris, Scarpia à la rescousse
Cette soirée permet de redécouvrir la mise en scène de Pierre Audi, somme toute assez classique malgré quelques décalages comme l’immense croix qui plane sur la scène, symbole de l’église mais aussi d’une certaine théâtralité monumentale commune à la religion et au pouvoir, et surtout de Scarpia dont la présence écrase tous les personnages. Dans cette scénographie, l’horizon est d’une blancheur éclatante : au premier acte c’est de cette lumière que sortent les prêtres en grande pompe, au IIe acte c’est vers elle que s’aventure Tosca, pistolet à la main façon héroïne de jeu vidéo, et au IIIe acte c’est encore vers elle que disparaît l’héroïne plutôt que de sauter dans le vide. Le destin des personnages s'inscrit sur ce double fond, celui de la croix et de l’horizon lumineux, dessinant un arrière-plan métaphysique voire psychanalytique de l’intrigue.
C’est la plus grande originalité de ce livre d’images, où Tosca porte ses fleurs et sa couronne de scène, Cavaradossi sa chemise ensanglantée pour le IIIe acte et Scarpia meurt en faisant tomber sur lui son repas. La direction d’acteur pour cette reprise avec une nouvelle distribution paraît sommaire : à part quelques gestes et placements, les chanteurs principaux semblent en autonomie, avec des réussites théâtrales variables selon les interprètes.
Dès son entrée, Brian Jagde fait entendre une voix solide, brillante et sonore, avec des attaques tranchantes et des aigus percutants malgré un medium moins généreux et quelques instants de fragilité. Avec cet instrument, le chanteur est logiquement plus à l’aise dans les éclats du rôle (les “Vittoria” du IIe acte résonnent avec puissance) que dans le lyrisme de “Recondita armonia” ou la mélancolie d'“E lucevan le stelle” qui demandent un legato plus souple et davantage de couleurs. Scéniquement, le personnage est sympathique, avec un certain air bravache, même s’il tend à s’effacer par moments derrière la concentration du chanteur.
La Tosca d’Elena Stikhina peine un peu à s’imposer ce soir. L’instrument est flatteur, le timbre laiteux brille facilement mais le medium est trop feutré et les aigus, systématiquement forte, sont un peu blancs. La chanteuse compense les modulations limitées en intensité et en couleurs par un soin des mots et un engagement scénique généreux. “Vissi d’Arte” lui permet de déployer le charme de son timbre grâce à un orchestre plus clément et lui vaut de chaleureux applaudissements. Très à l’aise scéniquement, la soprano apporte ses beaux gestes à une Tosca plus esthétique que théâtrale.
Ambrogio Maestri remplace ce soir Gerald Finley et captive par son incarnation. Son visage se transforme à chaque instant, tour à tour sympathique, un sourire en coin (ce n’est pas sans raison que le chanteur est associé au rôle de Falstaff), soudain dur et libidineux. Ce Scarpia traînant un corps et un désir qui l’encombrent (ce qui rend presque burlesque sa course-poursuite de Tosca), semble parfois traversé par des inquiétudes, se prenant la tête entre les mains, avant de continuer, presque malgré lui, son chemin vers le pouvoir et le stupre. La voix est sûre, la projection suffisante même si parfois un peu faible face aux grands tutti orchestraux, le timbre résonne avec chaleur et le chant possède une vraie noblesse, ce qui donne au personnage une ambiguïté supplémentaire. Si les aigus passent ce soir en force et ont tendance à blanchir, le chanteur sait donner du sens aux mots et apporter toutes les nuances à ce Scarpia magistral.
Les seconds rôles sont de belle tenue : Sava Vemić, qui ouvre l’opéra, possède le creux d’une vraie basse, ce qui donne chaleur et intensité à ses brèves interventions en Angelotti, puis Renato Girolami incarne un sacristain bien chantant et sonore avec la truculence attendue pour le rôle. À l’acte II, les deux complices de Scarpia sont complémentaires, Michael Colvin faisant entendre une voix claire et une belle prononciation en Spoletta quand Philippe Rouillon prête à son Sciarrone un timbre de baryton sombre et une présence efficace. Enfin, au dernier acte, Christian Rodrigue Moungoungou parvient à imposer en quelques phrases un timbre de basse riche et généreux. Sans oublier la gracieuse intervention du berger (Benjamin El Azzi), voix lumineuse même si un peu faible.
La direction de Paolo Bortolameolli, quant à elle, est attentive aux chanteurs, le chef suivant chacun dans ses inflexions et faisant attention à ne pas les couvrir. Il donne du souffle à l’action et inspire quelques belles couleurs à l'Orchestre de l’Opéra de Paris en grande forme (belle entrée des cors au début de l’acte III notamment). Il peut compter aussi sur les Chœurs et la Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris efficaces dans leurs brèves interventions. Le public applaudit chaleureusement cette soirée sans beaucoup d’éclat mais de bonne tenue.