Mein Traum : le rêve schubertien de Pygmalion à la Philharmonie de Paris
“Mein Traum”, texte onirique d’une étrange introspection écrit par Franz Schubert en 1822, sert de trame à ce programme mêlant musique symphonique, Lieder, et extraits d’opéras de Schubert mais aussi de Schumann et de Weber.
Si la légende veut que Schubert composait comme un somnambule, Raphaël Pichon dirige quant à lui avec une allégresse communicative. Le chef se rapproche au plus près de l’intuition schubertienne avec une réflexion sur le texte, une architecture de l’ensemble proportionnée et une interprétation sur instruments d’époque. Une odyssée vocale et instrumentale dans une atmosphère crépusculaire.
Le programme se divise en trois parties (Thrènes - Mirages - Mort et transfiguration) où dialoguent des pièces rares. Hormis la célèbre Symphonie n°8 “inachevée” de Schubert, l’occasion est donnée d’apprécier des petits bijoux musicaux à l’instar de Meerfey de Schumann pour chœur de voix de femmes a cappella. Le programme est pensé comme une seule et unique œuvre. Chaque pièce s’enchaîne sans interruption, presque sans temps de silence.
Les lumières, signées Bertrand Couderc, ajoutent un élément attentionnel et descriptif au spectacle, illustrant la musique selon les thèmes évoqués : des éclairs pour une scène tragique, une teinte jaune orangée pour les premières heures du matin, une lumière bleuâtre pour la mort…
Dès son entrée, le baryton Stéphane Degout se distingue par son aura scénique et la profondeur dramatique de sa voix. La diction est claire, les consonnes précises sans amoindrir la qualité du legato. La voix est puissante bien que le timbre se confonde avec l’orchestre lors de certains pianissimi. Sa voix large à l’architecture solide et au vibrato rond et régulier culmine lors de fortissimi retentissants. Son phrasé est d’une entière élégance et ses aigus claironnants subjuguent notamment en dialogue avec la harpe d’une tendresse poignante.
Raphaël Pichon insère entre le premier et le deuxième mouvement de la Symphonie n°8 de Schubert un air extrait d’Obéron de Carl Maria von Weber ("O wie wogt es so schon auf der Flut" Oh, comme il ondule magnifiquement sur la marée), opéra inspiré de la comédie de Shakespeare Le Songe d’une nuit d'été. Si ces deux œuvres sont géographiquement et culturellement différentes, l’atmosphère fantasmatique les unit. Dans cet air chanté par Judith Fa, une sirène évoque la douceur de la nuit et anticipe avec délice les douces complaintes lyriques du deuxième mouvement de la Symphonie de Schubert. Telle une figure angélique, la soprano chante du haut d’un balcon de la Philharmonie de Paris. La voix est également angélique et lyrique. Dès les premières attaques, le cheminement vocal et la phrase se déploient dans une grande souplesse et expressivité, avec la facilité de sa grande agilité, au timbre rond et brillant.
Raphaël Pichon propose une lecture claire et vigoureuse de cette symphonie. Le chef développe un discours musical aéré aux dynamiques contrastées. Les thèmes sont chantés avec relief sans être bousculés. Des couleurs subtiles se dessinent jusque dans les silences. L’harmonie est limpide et les sonorités ne se chevauchent pas grâce à des instruments d’époque plus légers et plus agiles que ceux d’aujourd’hui. Les raisons qui ont conduit Schubert à associer tel ou tel instrument ensemble deviennent alors évidentes.
Interprétation historiquement informée oblige, les cordes sont jouées avec un vibrato très contrôlé donnant un son un peu décharné qui peut surprendre par sa légèreté. Pour des oreilles non habituées, l'hyper luminosité des timbres peut parfois éblouir au détriment de la coulée pathétique qui caractérise ce chef-d'œuvre romantique.
Le clou de la soirée est sans doute le chœur de femmes. Douce comme du miel et sans aucune emphase, l’euphonie de la musique vocale féminine coule d’une œuvre à l’autre du programme. La beauté virginale du chœur de Pygmalion dont fait partie Judith Fa émeut par ces couleurs nacrées, collier de perles aux multiples diamants.
Le public sort de ce songe exalté et ovationne les solistes et l’Ensemble Pygmalion qui ont décidément conquis le répertoire romantique germanique.