Airs galants, charmants et drôles de Charpentier à Versailles
Prolifique compositeur du XVIIe siècle, Marc-Antoine Charpentier a publié une quarantaine d’airs qui séduisent immédiatement l’auditeur d’hier et d’aujourd’hui, évidemment par la finesse et la qualité de l’écriture vocale et aussi par la diversité des caractères de ces airs, tantôt sérieux d’autres fois beaucoup moins. C’est presque une intégrale de ses airs aux teintes galantes, de ces miniatures musicales représentant l’amour sous toutes ses formes, que propose ce soir le claveciniste et chef musical Stéphane Fuget. Enregistrant ce projet pour Château de Versailles Spectacles, le lieu choisi pour cette captation en concert est la sublime Grande Salle des Croisades. Offrant par ses boiseries une acoustique d’une agréable finesse, elle propose aussi une certaine intimité pour les spectateurs, déjà admiratifs des grands tableaux historiques commandés par le roi Louis-Philippe.
Pour interpréter ces Airs sérieux et à boire, quatre chanteurs spécialistes de l’art déclamatoire ont été choisis, à commencer par la voix de dessus de Gwendoline Blondeel. La soprano séduit par la clarté de son texte et surtout sa capacité à proposer une coloration de son chant en fonction de l’expressivité de son air : souvent malicieux, tels « Ne fripez point mon bavolet » ou surtout le sympathique et dansant « Auprès du feu l’on fait l’amour », parfois saisissant de tendresse voire de dramatisme comme la lamentation « Rentrez, trop indiscrets soupirs ». La chanteuse y démontre une conduite des phrasés langoureuse et touchante, portant sa voix légère et fraîche, toujours très homogène. Sa collègue Claire Lefilliâtre fait entendre une voix d’une rondeur marquée, parfois presque trop veloutée et pas assez nuancée pour proposer des airs aux caractères tranchés. Ayant la difficile charge de commencer le programme, elle manque d'abord de liberté dans la voix mais gagne très rapidement en souplesse pour défendre notamment la réjouissante chaconne « Sans frayeur dans ce bois ».
Le haute-contre Cyril Auvity et la (basse-)taille Marc Mauillon déploient tous deux leur investissement scénique et vocal, mettant fortement en évidence les élans comiques, et même tout à fait coquins y compris des plaintes les plus intenses. Le premier prête son timbre maîtrisé et soigné à des médiums agréablement chauds ainsi qu'à des aigus rayonnants et expressifs. Ses phrasés, parfois très longs, sont également conduits avec beaucoup de cohérence. Le second défend avec tout autant de verve que de diction l’intelligibilité et la la poésie des textes. Les nuances parfois extrêmes portent les sentiments avec pertinence, comme lors de la lamentation « Tristes déserts, sombre retraite ». Quelques parties semblent étonnamment moins sûres, voire discrètement maladroites, par exemple lors du duo « Tout renaît, tout fleurit » aux intentions néanmoins caressantes. Avec Geoffroy Buffière, le trio masculin se fait souvent drôle et joueur, communiquant le plaisir d’un texte parfois grivois. Ce chanteur à la voix grave se fait certes un peu plus sérieux que ses deux collègues mais il apporte une assise, parfois joliment profonde, le plus souvent très sûre et toujours moelleuse et chaleureuse. La sensibilité de ses lignes propose notamment un agréable « Si Claudine ma voisine » et des contrastes bienvenus dans « Ayant bu du vin clairet ».
La direction de Stéphane Fuget, apportant lui-même quelques interventions sensibles et nettes au clavecin, dessine les phrasés, les élans et les intentions avec souplesse, son index droit apportant précision lorsqu’il le faut tandis que sa main gauche veille avec attention aux équilibres. Les quatre instrumentistes des Épopées apportent ainsi un accompagnement caressant, présent avec équilibre et surtout subtilement coloré.
Offrant avec enthousiasme en bis un extrait de Circé (le dialogue tout aussi galant « Il n’est point de plaisir véritable »), l’ensemble salue le public charmé et amusé par ces airs, qu’ils aient été sérieux ou un peu moins.