Orphée, allers sans retour à Tours
Orphée est incontournable dans l'art lyrique, notamment pour les opéras de cour du début du XVIIe siècle, consolidant définitivement le genre. À la fin du siècle, en France, Marc-Antoine Charpentier, élève de Carissimi, se fait l'héritier de cette tradition (pour les salons de la duchesse de Guise, sa protectrice), dans une cantate et un opéra ici réunis (Orphée descendant aux Enfers et La Descente d’Orphée aux Enfers). L'intrigue reste d'ailleurs en suspens, s’achevant sur la décision favorable de Pluton à laisser Eurydice partir, et les doutes d’Orphée à pouvoir se tenir à l’injonction de ne pas se retourner avant d’avoir atteint l’air libre.
Joël Suhubiette, maître d’œuvre de la soirée, a inséré entre ces deux œuvres un madrigal, Complainte, composé par Patrick Burgan sur un sonnet de Louise Labé (en cette année marquant le cinq-centième anniversaire de sa naissance). Ce madrigal sonne comme un komoi, une lamentation, qui s’insère parfaitement dans la dramaturgie un peu lâche de l’œuvre. Avec ses nappes sonores, ses dissonances et ses glissandi, le compositeur restitue bien le climat de désolation propre à la plainte tragique. L’œuvre de Charpentier offre son génie mélodique, de beaux chœurs et « sinfonies », mais sans cacher l’absence d’une dimension tragique véritable et d'une dramaturgie transversale affirmée. Les clichés poétiques du livret confirment la destination pour un salon aristocratique.
Les instrumentistes de l’Ensemble Concerto Soave, habituellement dirigés par Jean-Marc Aymes ce soir au clavecin et à l’orgue, sont à leur affaire, avec une sonorité faisant la part belle aux flûtes à bec. Le continuo est efficace, ainsi que les cordes.
L’Ensemble vocal Jacques Moderne, en formation complète ou dans les petits ensembles incarnant des Nymphes, des Bergers, des fantômes ou des habitants des Enfers, offre une présence vocale constante, avec une prononciation modèle.
Les solistes présentent aussi cette qualité de prosodie limpide, avec un souci de prononciation ancienne discret et efficace.
Le jeune baryton Thierry Cartier incarne un Apollon délicat et charmant, avec une jolie voix sombre et caressante comme il se doit pour la voix d’un père qui s’adresse à son fils. Sa prestance vient parfaire sa brève apparition.
Eurydice meurt quasiment juste après son entrée. Julia Wischniewski lui prête sa voix chaude et veloutée de soprano, au timbre capiteux, puis languide dans ce trépas qui la gagne.
Avec sa voix franche et projetée de soprano, Anne-Sophie Honoré incarne une Proserpine décidée, sachant ce qu’elle veut, altière dans sa posture de reine, et délicieusement manipulatrice avec Pluton.
Matthieu Heim incarne Pluton avec une voix de (baryton-)basse sonore de part en part et une autorité, qui sied à celui qui dit la Loi. Une pâte claire et un beau phrasé viennent seconder la prestance de majesté qui convient au personnage.
Robert Getchell avec sa voix de ténor / haute-contre propose un Orphée éploré. La voix un peu nasalisante manque quelque peu de couleurs mais se déploie aisément sans être très large. Ses efforts d’incarnation compensent le tout par un engagement théâtral évident, qui confère finalement son poids à la dramaturgie d'ensemble.
Le public manifeste son enthousiasme par une belle ovation.