Welcome home ! Le Banquet Céleste à l’Opéra de Rennes
Dès les premières notes, une connivence s’établit entre le public et les musiciens. La connaissance parfaite de l’acoustique du lieu, la proximité et la connexion entre le chef et ses musiciens instaurent une intimité propice à ce concert. La réverbération offerte par la salle permet aux chanteurs et musiciens d’être à l’écoute les uns des autres pour une qualité de nuances, des phrasés, des silences, des intentions expressives et du langage mélodico-harmonique propre au compositeur. Chaque intention apporte ainsi un élément de diversité à ce programme constitué de 3 odes (parmi les 24 composées par Purcell) rarement jouées et enregistrées, pleines de surprises dont les morceaux alternent comme des paysages sonores.
Qu’il soit chanteur ou, comme ici, à la direction de son ensemble, Damien Guillon affectionne Purcell. Après un spectacle autour des Songs de Dowland et Purcell intitulé Dreams, il reprend la fonction de chef et propose une autre facette du compositeur avec des œuvres de circonstance écrites entre 1683 et 1685 pour une formation chambriste (constituée de cordes) et 8 chanteurs aux tessitures variées assurant tour à tour les parties de solos, duos, trios et ensemble avec des équilibres maîtrisés entre solistes et pupitres.
Dans Dreams, la cohérence reposait sur la mélancolie de l’univers poétique et onirique. Dans Odes and Welcome Songs, l’écriture intègre l’actualité politique du temps de Purcell (rappel de la Restauration, d’un complot, changement de règne) : une dramaturgie permettant d’écrire des pièces courtes entre la cantate et le semi-opéra servant de tremplin aux futures œuvres opératiques.
Damien Guillon dirige de l’intérieur de son ensemble, d’une façon attentionnée et naturelle. Les enchaînements sont à la fois fluides et précis, au service de cette musique mariant ouverture à la française, style italien et ground bass (basse obstinée) caractéristique de l’écriture musicale anglaise de l’époque. Les deux violons et l’alto debout élèvent les mélodies harmonieuses et tous les changements de caractère. Le continuo imposant (clavecin, orgue, théorbe, violoncelle et contrebasse) contribuent également aux changements de caractère dans des combinaisons diversifiées.
La voix d'alto, privilégiée chez Purcell, se voit confier la strophe inaugurale de la 1ère ode, interprétée par le contre-ténor Paul Figuier. Son timbre rond et au medium chatoyant développe des mélismes expressifs. Son aisance dans cette tessiture avec peu d’aigus et des graves résonant le plus souvent sans passage en voix de poitrine se retrouve dans ses autres interventions, notamment dans l’air « Britain thou now art great » (Grande-Bretagne, te voilà devenue grandiose) proposant une ornementation diversifiée et élégante, manquant cependant un peu de conviction. La contralto Mélodie Ruvio complète le pupitre avec une voix homogène au timbre profond se mêlant harmonieusement aux voix de sopranos lors des trios. Ses airs en solo sont interprétés avec sincérité et apportent un moment d’apaisement.
Les airs pour ténor sont conséquents dans ces partitions. La voix de David Tricou contraste dans deux des airs interprétés : tantôt claironnante pour imiter les sonorités des trompettes (inexistantes) dans l’orchestre, tantôt feutrée pour illustrer le silence des muses, s’intensifiant pour réveiller chœur et instrumentistes. Dès son premier air, Thomas Hobbs fait montre d’une grande maîtrise de la musique de Purcell par son aisance à s’insérer dans le ground des musiciens. Sa voix bien projetée est agile, le phrasé fluide et la diction naturelle.
Les deux chanteurs au pupitre de basses ont en commun d’avoir des voix puissantes et bien projetées, associées dans un duo où le sort de l’Europe est mis en balance. La voix timbrée et stable d’Edward Grint s’offre avec clarté dans l’émission. Nicolas Brooymans imprime une voix résonante avec un ambitus de plus de deux octaves, atteignant les profondeurs pour dépeindre l’Enfer.
À ce mouvement s’oppose, dans le plus vif des contrastes, le duo des sopranos Céline Scheen et Suzanne Jerosme. La première contribue à l’union vocale par sa ligne intense au timbre lumineux (tout comme sa présence), la deuxième par un timbre clair aux médiums charnus dont l’émission sonore est bien dosée.
Toutes les voix se retrouvent pour les chœurs concluant chaque ode. Exubérant pour le premier, réjouissant pour le deuxième, poignant pour le dernier, prémisse du chœur final de Didon et Énée.
Après le bis (reprise du chœur final de la 1ère ode, Recevons la merveille du monde au son des trompettes et des cris de joie), c’est un public joyeux et émerveillé qui applaudit en fanfare l’ensemble des interprètes.