Cendrillon marie le moderne et l’ancien à l’Opéra de Paris
L’Opéra de Paris présente une nouvelle production de la Cendrillon de Massenet, œuvre alliant, comme le conte de Charles Perrault, l’humour à une certaine mélancolie. Pour son retour à l’Opéra de Paris (après Hänsel et Gretel en 2013), Mariame Clément plonge l’intrigue dans la modernité naissante du passage au XXème siècle (époque de la création de l’œuvre). La demeure de Madame de la Haltière est ainsi occupée par une immense machine à rendre les jeunes femmes épousables : ses filles entrent d’un côté en habits de ville et en ressortent de l’autre dans de gigantesques robes roses bonbon (portées à l’identique par toutes les prétendantes du Prince). Le majestueux palais du Roi a des airs de Grand Palais (qui a été inauguré en 1900) miniature avec ses verrières en fer forgé. L’enchantement plonge ainsi dans la rationalité industrielle, logique poussée à son paroxysme lorsque la forêt des fées se trouve transformée en sous-sol d’usine glauque et crasseux.
Dans sa direction d’acteurs, Mariame Clément apporte une fantaisie bienvenue, et pointe la volonté de Massenet de rendre ses personnages -même les plus caricaturaux- humains. Les deux sœurs, pas si méchantes dans le livret original, sont même ici attachantes : un peu pestes et maladroites, elles sont aussi joueuses, souriantes, et même câlines avec Cendrillon auprès de laquelle elles s’affairent lorsque cette dernière est malade au dernier acte. Madame de la Haltière est certes médisante et manifestement invivable pour son mari Pandolfe, mais son envie de bien faire pour ses filles semble presque pouvoir la racheter.
Dans une distribution qui offre une belle diction française dans tous les rôles, Tara Erraught (Iphigénie à Garnier en septembre dernier, mais qui débute à Bastille) est Cendrillon. Sa voix veloutée au vibrato léger et rond, forme des lignes légères. La voix d’Anna Stephany, qui débute in loco en Prince charmant, est tissée dans le même taffetas précieux. Son timbre chaud reste homogène quel que soit le registre. Son vibrato est bien tenu, sa ligne vocale est souple, son souffle est long. Surtout, elle dessine un personnage attachant pour lequel le public se prend d’empathie. Kathleen Kim (pour ses débuts) chante une Fée mutine, brillante de costume et de voix. Bénéficiant de l’acclamation la plus vive aux saluts, elle marque en effet par la légèreté et l’agilité de sa voix cristalline, à la fois fine et puissante.
Lionel Lhote revient à Bastille en Pandolfe, six ans après sa dernière production dans ces lieux. Son timbre riche et mat, légèrement en retrait au premier acte, nourrit une voix ferme aux aigus éclatants. Il est un père touchant, au vibrato brillant portant de belles lignes, douces et travaillées. Sa femme, Madame de la Haltière, est interprétée par Daniela Barcellona (absente aussi des lieux depuis 2017), qui joue de sa taille (altière) pour générer des effets comiques, s’amusant manifestement de son rôle. Elle varie constamment la couleur de sa voix, alternativement ardente, dure, satinée ou charbonneuse.
Les deux sœurs de Cendrillon, Noémie et Dorothée, sont chantées dans un duo bien coordonné et théâtralement investi par Charlotte Bonnet (qui débute sur ces planches) à la voix de soprano charnue et vibrante, et Marion Lebègue à l’instrument grave et chaud. Philippe Rouillon prête au Roi sa voix rocailleuse, bien émise. Olivier Ayault est un Surintendant des plaisirs à la voix de baryton lumineuse et large et à la prosodie travaillée. Le Doyen de la faculté trouve en Cyrille Lovighi un interprète puissant, à la voix pincée. Le Premier Ministre est chanté par Vadim Artamonov, à la voix de basse très ouverte.
Carlo Rizzi, qui n’avait plus dirigé l’Orchestre de l’Opéra national de Paris depuis 2016, revient dans un répertoire français qui n’est pas (encore) sa spécialité. Un brin pompeuse dans les premières mesures, l’interprétation s’affine rapidement, laissant transparaître à la fois la mélancolie et la fantaisie de la partition, dessinant des moments suspendus d’un grand raffinement. Les Chœurs se montrent impliqués scéniquement tout en gardant une grande homogénéité dans leur interprétation.
La salle, quasiment pleine, se montre enthousiaste et accueille chaleureusement l'ensemble des artistes : chanteur, chef et équipe de mise en scène, gageant que nombre d'entre eux reviendront en ces lieux sans trop attendre.