Covent Garden reprend, en forme musicale et lyrique avec La Flûte enchantée
Die Zauberflöte de Mozart par McVicar constitue symboliquement un début et une fin de fermeture pandémique au Royal Opera House : nous en avons rendu compte en novembre 2019, lors d'une des dernières représentations avant que la scène ne s'éteigne, et la voici à nouveau alors que le Royal Opera House rouvre ses portes devant une salle pleine pour la première fois depuis dix-huit mois. La distribution est entièrement nouvelle, et le mouvement réimaginé de sorte à offrir une nouvelle lumière sur la production et sur l'œuvre elle-même.
L'essentiel de l'effort scénique est consacré à la représentation de la cour de Sarastro dans le deuxième acte, la majeure partie du premier acte étant présenté dans une boîte noire avec un minimum d'accessoires. Le palais de Sarastro est un lieu d'apprentissage, représentant le Siècle des Lumières au centre de la scène, lorsque Tamino franchit la porte marquée “Sagesse” et entre directement dans un tableau vivant basé sur celui de Joseph Wright of Derby Un philosophe donnant une conférence sur l'Orrery (1766). Elle fait aussi subtilement écho par un tableau vivant similaire au Martyre de Saint Matthieu du Caravage qui ouvrait de manière si frappante le Rigoletto de Verdi par Mears plus tôt dans la semaine. Le thème se poursuit tout au long du deuxième acte, avec des scientifiques et des mathématiciens sur des échelles remplissant mur après mur de calculs et de formules : moins Versailles du milieu du XVIIIe siècle et un peu plus la Sorbonne du XXe siècle, l’ensemble offre un beau contraste avec le cérémonial de la cour de Sarastro. Ses deux prêtres, les vétérans Harry Nicoll et Donald Maxwell, remplissent soigneusement l'espace musical et dramatique avec des voix distinguées et puissantes. Les deux hommes armés, à l’inverse, sont inégalement assortis. James Platt propose une basse sinistre qui se déplace avec puissance et détermination, tandis qu'Alan Pingarrón semble mal à l'aise sur la scène. Les voix déploient cependant la superbe et l'étrange du crypto-choral Mozartien.
Le Sarastro de Krzysztof Baczyk offre beaucoup à admirer avec sa présence scénique distinguée (il est presque deux fois plus grand que la Pamina de Salome Jicia) et son investissement dans les nombreux dialogues parlés, mais moins dans le parlar ampio (ample parole) : le registre médian est magnifiquement focalisé, mais la gamme inférieure doit encore se développer.
Si Sarastro cherche l'illumination à travers une basse mélodieuse, son adversaire, la Reine de la Nuit, poursuit sa vengeance à travers des tonalités mineures et une virtuosité de colorature. Brenda Rae fait son entrée au Covent Garden dans ce rôle, ne faisant aucun prisonnier et ne laissant aucune faille dans son armure vengeresse. Ses arpèges staccato (détachés) explosent comme des diamants brisés, dans la seconde aria encore mieux que la première où elle perd presque le suraigu.
Michael Colvin chante (par choix ou par demande) avec une nasalité particulière, ce qui contredit la clarté de son personnage de Monostatos. Dans les rares moments de déploiement naturel, sa voix donne envie d’en entendre encore davantage.
Justice est rendue à la stupéfiante musique des trois dames de la Reine avec la froideur de ton et la précision au fil du rasoir d’Alexandra Lowe, Hanna Hipp et Stephanie Wake-Edwards notamment au moment de déclarer leur dévouement envers leur reine et la vengeance, quelques secondes avant que le soleil n'explose sur la scène et que leur conspiration ne soit découverte. Le Chœur s’y montre alors toutefois décevant, curieusement placé hors de la scène et de ses couleurs, malgré leur réelle prestance vocale tout au long de la représentation.
La pratique consistant à faire chanter les trois génies par trois garçons est presque devenue inévitable (alors qu’ils étaient chantés lors de la première par la nièce de Schikaneder et deux garçons, et qu’ils étaient connus tout au long du XIXe siècle comme des esprits ou -comme le disait une production parisienne de 1865- des fées). L'utilisation moderne de trois enfants de chœur n'a vraiment commencé qu'avec Toscanini en 1937, et les prestations bien intentionnées comme ce soir mais avec un chant incolore, désaccordé et dépourvu de tout phrasé, questionnent ce choix.
Les deux amoureux Tamino et Pamina s’expriment à leur meilleur dans les ensembles : Bernard Richter déploie ses qualités subtiles mais riches de tonalités dans la plupart des chants tandis que la douceur lyrique de Salome Jicia rappelle par contraste combien la terrible misogynie règne à la cour de Sarastro. Leurs deux voix s'étendent et s’unissent sur une tessiture généreuse, très homogène, parfois trop même, sauf lors du lié coulant notamment exécuté par la chanteuse.
L'autre couple, Papagena et Papageno, est porté par la musicalité très expressive d’Haegee Lee (donnant envie de l’entendre en Zerbinetta par exemple) en contrepoids avec Huw Montague Rendall jouant le rôle avec un investissement constant et des moments de précision comique dignes d’une star du stand-up ou de cinéma. Mais la voix est aussi à suivre, comme récemment pour son Guglielmo de Così fan tutte de Glyndebourne et son Pelléas à Rouen : la voix est douce et contrôlée avec un grand sens de la ligne, tout en contrôlant les numéros bouffons, vocaux et dramaturgiques.
Hartmut Haenchen dirige la représentation dans une interprétation qui favorise les tempi rapides, les solos et cadences parfois précipités, en désaccord avec ce palais scénographique et la partition de Mozart, mais traduisant aussi une part de l’enthousiasme public à retrouver l’Opéra.