Synopsis
Iphigénie en Tauride
Iphigénie, fille sacrifiée d'Agamemnon et de Clytemnestre, est devenue prêtresse de la déesse Diane en Tauride, auprès du roi des Scythes, Thoas. Celui-ci, craignant pour sa propre vie, la somme de sacrifier deux étrangers qui ont pénétré dans le royaume. Torturée entre la pitié qu'elle ressent pour ces étrangers, et son devoir de prêtresse, Iphigénie décide de trahir sa fonction et découvre qu'elle a sauvé son frère Oreste.
Met Live Bernheim
Création de l'opéra
Composé entre 1778 et 1779 par Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Iphigénie en Tauride est l'un des plus grands chefs-d'œuvre de ce compositeur. Il constitue en effet un résumé complet de sa réforme, l'idéal de sa théorie musicale. En quatre actes et chanté en français, cette œuvre appartient à la période dite « des opéras réformés de Paris » et avec cinq autres opéras, dont Iphigénie en Aulide (1774) et Armide (1777), fait partie d'un contrat avec l'Opéra de Paris que Gluck avait obtenu grâce à l'appui de son ancienne élève de musique en Autriche, par ailleurs dédicataire de l'œuvre, la reine de France Marie-Antoinette.
Le livret, conçu par le jeune Nicolas-François Guillard (1752-1814), renferme l'un des meilleurs poèmes d'opéras du XVIIIème siècle sur le plan de la forme dramatique. Écrit d'après la tragédie éponyme de Claude Guimond de La Touche qui avait été représentée au Théâtre-Français le 4 juin 1757 à Paris, cet opéra retrace l'histoire la malédiction des Atrides, famille régnante du royaume de Mycène, et plus particulièrement du destin d'Iphigénie, telle que l'a imaginé le dramaturge de la Grèce antique Euripide.
La création a eu lieu dans la seconde salle du Théâtre du Palais Royal à Paris le 18 mai 1779 dans une distribution brillante, habituée des rôles titres de l'Opéra de Paris : Rosalie Le Vasseur en Iphigénie, Henri Larrivée en Oreste, Joseph Legros en Pylade et Jean-Pierre Moreau en Thoas. Les numéros dansés ont été réglés par le créateur du ballet moderne Jean-Georges Noverre. Malgré des critiques virulentes dans la presse de la part des adversaires de Gluck, cette œuvre dans sa version française a connu un énorme succès. En atteste la programmation de l'Académie royal de Musique qui l'a reprise plus de quatre-vingt dix fois entre 1779 et 1787.
Cet opéra a par ailleurs fait l'objet de nouvelles versions notamment en allemand sur une traduction de Johann Baptist von Alxinger (avec la collaboration de Gluck) et en italien sur une traduction de Lorenzo da Ponte. Les créations ont eu lieu respectivement le 23 octobre 1781 sous le titre d'Iphigenia in Tauris pour la version italienne, et le 14 décembre 1783 pour Ifigenia in Tauride, la version allemande, au Nationalhoftheater (actuel Burgtheater) de Vienne.
À partir des années 1770 éclate à Paris une controverse esthétique autour de l'œuvre de deux compositeurs, Niccolò Vito Piccinni (1728-1800) et Christoph Willibald Gluck, qui n'est pas sans rappeler la « querelle des bouffons » qui avait opposé Jean-Jacques Rousseau et Jean-Philippe Rameau vingt ans plus tôt. Comme à l'époque, deux camps s'affrontent autour de la question de l'hégémonie de la langue italienne ou de la langue française dans l'opéra, et par extension de la supériorité de la musique italienne ou de la musique française dans ce genre. Cette nouvelle querelle éclate après la création d'Iphigénie en Aulide le 23 avril 1776 où les tenants de la musique italienne, Jean-François Marmontel, le marquis de Saint-Lambert et André Morellet en tête, attaquent avec véhémence la musique de Gluck dans la presse. Pour contrer la montée en notoriété de Gluck et empêcher qu'il impose définitivement le modèle français, ils décident de faire venir le plus grand représentant de la musique italienne de l'époque : Niccolò Vito Piccinni. Cette manœuvre est très mal perçue dans le camp des défenseurs de Gluck, notamment par le journaliste Jean-Baptiste-Antoine Suard, et dès lors, les deux camps se livreront une bataille de plume terrible qui se soldera par une victoire momentanée des défenseurs de la tragédie lyrique lors de la création d'Iphigénie en Tauride en 1779.
D'ailleurs, l'histoire de la création du livret de l'œuvre illustre parfaitement l'ambiance dans laquelle est plongé le monde de l'opéra parisien entre 1776 et 1779. Après le succès d'Iphigénie en Aulide, Alphonse du Congé Dubreuil propose à Gluck de mettre en musique le livret qu'il avait écrit sur le sujet d'Iphigénie en Tauride. Mais Gluck refuse, travaillant déjà en secret sur le livret de Guillard. Après plusieurs refus, Dubreuil se tourne au début de l'année 1779 vers le directeur de l'Opéra de Paris, Anne-Pierre-Jacques Devismes (qui n'avait pas très bien pris l'intervention de Marie-Antoinette en faveur du compositeur et son obligation de signer avec lui une commande de 6 opéras) qui le dirige vers le rival de Gluck, Piccinni. Ce dernier accepte et commence à composer la musique. Mais il s'arrête brusquement lorsqu'il apprend que Gluck a presque finit son opéra : il ne veut pas s'exposer à une création ratée où l'œuvre de Gluck aurait fait de l'ombre à la sienne. Le succès retentissant de l'Iphigénie de Gluck lui a donné raison et il attendra 1781 pour créer sa version qui ne rentrera d'ailleurs pas au répertoire.