Une deuxième Adriana Lecouvreur enthousiasme l'Opéra Bastille
C'est à une plongée dans les coulisses de la Comédie-Française en 1730 que convie le metteur en scène écossais, entre la chatoyance des costumes d'époque vibrants de la nuance des étoffes satinées choisies par Brigitte Reiffenstuel et l’animation des lumières dansantes des bougies.
Le parti-pris est celui de la mise en abyme du théâtre dans le théâtre, de bout en bout, et ce même dans les appartements du Prince de Bouillon, qui prennent l'allure d'une scène sur laquelle vont se rencontrer les deux rivales à la ville. L'action est fluide, habitée de figurants ou des comprimari dont la présence, toujours pertinente et habitée, rend la narration efficace et lisible dans une œuvre au livret parfois complexe à suivre en raison des nombreuses interjections superposées de ses personnages, notamment au premier acte où les comédiens du Français ont tous leur petit mot à dire.
Dans la fosse, Jader Bignamini appuie et amplifie l'élan des protagonistes sur scène par une direction franche et très soignée. Sous sa baguette, l'orchestre maison déploie de multiples couleurs, dans des nuances pianissimi déchirantes ou des ensembles retentissants toujours proches du drame. Le prélude du quatrième acte, tout en retenue dramatique, semble suspendre pendant quelques instants la soirée. Le public recouvre malheureusement par son enthousiasme les derniers accents de la harpe distillés avec précaution à la fin du dernier acte, malgré un geste tendu du chef qui tente de maintenir le silence jusqu'au bout. Le plateau vocal brille également autant dans sa diversité que par sa qualité. Le Chœur de l’Opéra de Paris préparé par Alessandro Di Stefano s’acquitte avec justesse de ses deux courtes interventions. Se-Jin Hwang en représentant soliste campe un majordome affirmé.
La joyeuse troupe des Comédiens-Français est incarnée par les jeunes chanteurs de la troupe lyrique de l'Opéra national de Paris. En mademoiselle Dangeville, Marine Chagnon offre un contrepoint chaleureux aux aigus délicats d'Ilanah Lobel-Torres en Mademoiselle Jouvenot. Nicholas Jones est un Poisson au timbre cuivré tandis que le Quinault d’Alejandro Baliñas Vieites chante avec prestance dans le grave.
Le duo formé par Sava Vemić et Leonardo Cortellazzi, respectivement Prince de Bouillon et Abbé de Chazeuil fonctionne agréablement. La complicité qui se dégage de leurs interactions fait mouche, le premier en grand aristocrate à la voix caverneuse, sonore et bien ancrée, doté d'une prestance séant très bien au rôle, le second en associé plus mesquin, dont la voix piquée et bien projetée dessine des interventions toujours précises et habitées.
Déjà titulaire du rôle en 2019 lors de la retransmission dans les cinémas de cette même production en direct du Metropolitan Opera, Ambrogio Maestri reprend du service en Michonnet. Toujours avec la même sensibilité, le chanteur joue la carte de la simplicité sur le plan scénique et chante avec le coeur pour le reste. La voix résonne avec facilité sur toute la tessiture, mais sait aussi s'alléger avec tendresse quand cela est nécessaire. Le tout contribue à composer un personnage d’une grande sympathie.
Clémentine Margaine revêt quant à elle le costume sombre de la Princesse de Bouillon. Vocalement, le timbre est tout aussi sombre, bien que l'extrême grave soit couvert par l'orchestre. C'est cependant dans le médium et l'aigu que la chanteuse déploie le plus d'éclat, avec une résonnance patente dans ce registre. Jouant le contraste, son interprétation en impose d'entrée puis dans les confrontations orageuses avec sa rivale.
Entre ses deux femmes de caractère, le Maurizio de Giorgio Berrugi passe malheureusement un peu au second plan. Malgré un investissement scénique certain et un timbre élégant, le volume du chanteur est modeste et son incarnation manque globalement d'éclat, les aigus étant comme voilés.
Enfin, le rôle-titre est repris, après Anna Netrebko, par Anna Pirozzi, qui en propose une incarnation tout aussi travaillée que sa prédécesseure. La voix se fait tantôt brillante, tantôt fragile, toujours supportée par un souffle sûr et sans faille. La palette expressive se développe surtout dans le haut de la tessiture, et les sauts d'octaves qui parsèment la partition ne rencontrent aucune entrave. Seul le monologue adressé à sa rivale aurait pu trouver un peu plus de mordant dans son interprétation.
L’ensemble de la distribution est chaleureusement accueilli, avec des applaudissements redoublés à l’adresse d’Anna Pirozzi, Clémentine Margaine et Ambrogio Maestri, ainsi que du chef.