Rentrée Classique pour l'Académie de l'Opéra de Paris
C'est un classique : le concert de rentrée de l'Académie de l'Opéra national de Paris permet à un public d'habitués et de néophytes de découvrir les nouvelles voix et instrumentistes rejoignant ce programme cette année, et de retrouver celles et ceux découverts l'année dernière de la même manière.
C'est un classique, et encore davantage cette année où le programme choisi est classique parmi les classiques : avec une première partie entièrement Mozartienne (le compositeur emblématique du courant nommé classicisme dans la musique classique), la seconde consacrée à Gluck (le Réformateur de la musique baroque vers le classique). Un intermède instrumental entre ces deux parties permet de découvrir pour beaucoup Joseph Bologne de Saint George dit Le Chevalier de Saint-George (souvent surnommé "le Mozart noir") via son 4ème Quatuor à cordes. Les instrumentistes mettent en avant les qualités de cette musique, nourrissant les phrasés de leur élégante clarté, marquant, sans l'appuyer, la nostalgie en nobles tenues.
Le concert s'éloigne ainsi du format classique d'un pot-pourri, d'autant que les morceaux s'enchainent sans transitions, dans chacune des deux parties. Les interprètes enchaînent ainsi des pièces extraites de différents opéras d'un même compositeur, puis de l'autre, comme s'ils se métamorphosaient d'un personnage à l'autre. Pamina devient ainsi Zaïde peu après que, dans la foulée, Sesto soit devenu Annio, face à Servilia qui consolait juste avant Papageno (les extraits de La Clémence de Titus à laquelle appartiennent les trois premiers personnages étant interprétés dans la suite de La Flûte enchantée qui contient le quatrième).
Ce procédé pas si classique l'est en fait pour cette académie qui cherche par principe à donner un fil narratif à ses concerts. Autre dimension classique de ces rendez-vous, les interprètes ont aussi travaillé des gestes et des interactions (dans le cadre d'une mise en espace de Raphael Jacobs) mais comme souvent pour ces premières de saison, il semble s'agir surtout d'exercices de théâtre (marcher, se croiser, se regarder, s'asseoir), ce qui correspond certes aux objectifs d'apprentissage d'une académie. Certains passages font néanmoins leur effet, justement lorsqu'ils s'écartent de l'exercice et s'approchent d'une forme de subtilité, comme lorsqu'Eurydice s'agenouille et se relève pour symboliser sa mort puis sa résurrection.
C'est un grand classique aussi : les performances de certains académiciens impressionnent d'emblée, d'autres confirment, y compris des inquiétudes renforcées par le stress de la rentrée.
Difficile de croire, à entendre la qualité remarquable de son français, que Teona Todua soit, comme l'indique le programme, d'origine géorgienne née en Ukraine. Son chant est ainsi peint quoique voilé de timbre, comme pour mieux incarner Eurydice passée de l'autre côté du Styx. Sa voix résonne pourtant comme à travers ce voile, avec intensité et d'amples crescendi. Le souffle nourrit aussi l'intensité du personnage, la rondeur du phrasé et l'épaisseur du timbre.
Seray Pinar est animée par les tourments d'Orphée, dans un mouvement scénique rapide qui amoindrit son volume et ses efforts d'articulation. Ses fins de phrases déploient leur volume dans les mouvements lents. Sa voix incarne elle aussi pleinement son personnage : entre un médium sombre et la vitalité de son phrasé vibré, comme déjà entre les mondes souterrain et céleste.
L'Amour chanté par Sima Ouahman est un Cupidon qui bat fort et rapidement des ailes de sa voix, intimant le sentiment qu'elle incarne d'une manière presque vindicative. Sa voix vibre d'emblée, se place et s'accroche dans l'aigu, s'y déploie avec des résonances à la mesure de cet Amphithéâtre à Bastille (reste à travailler le reste du registre, et le souffle pour donner du volume).
La soprano hongroise Boglárka Brindás (en Servilia) ne semble pas en voix, en raison d'aigus serrés ou blanchis (rendant sa prononciation moins intelligible encore). Elle déploie cependant progressivement ses phrasés sur la rondeur du médium et une certaine tendresse du grave, en retrouvant progressivement son volume.
Habillée en garçon de café (pour insister sur le fait qu'elle incarne les deux rôles de jeunes patriciens de La Clémence de Titus), la mezzo ukrainienne Sofia Anisimova chante Sesto doux comme un Annio d'un aigu vibrant d'emblée, sans perdre son appui et ses résonances dans le médium grave (mais il lui reste encore à développer le volume et les graves).
La soprano toulousaine Lisa Chaïb-Auriol déploie sa tessiture complète, le grave s'installant sans difficulté sur la matière du souffle contrôlé. Le médium est vigoureux, les aigus résonnent avec intensité ou une douceur pianissimo mais très placée. Restera à travailler la longueur des phrasés pour relier pleinement ces richesses (le rôle de Zaide et les mouvements rapides la mettent plus encore à l'épreuve).
Le baryton ukrainien Igor Mostovoi chante Figaro comme un Don Giovanni face aux Commandeur (alors qu'il est devant le tendre interprète de Papageno, qu'il fait toutefois marcher au pas). Ce choix étonnant résonne pourtant comme un clin d'œil et même plusieurs : avec la grande salle de Bastille au-dessus où se joue Don Giovanni, vers la fin duquel Mozart cite justement cet air de Figaro "Non più andrai". La voix est très vigoureuse et sombre à la fois, nourrie d'un souffle long et riche, avec un phrasé dynamique et articulé. L'aigu soutenu est un peu moins sonore et coloré.
Le Papageno du baryton-basse brésilien Luis Felipe Sousa est bien appliqué à rendre sa voix bondissante, son timbre ductile alliant vigueur et douceur. Il déploie quelques résonances sur les longs phrasés. Agile de jeu et d'intentions théâtrales et vocales, son vibrato se fait un appui et un soutien, tout en rondeur et en vigueur.
Le ténor Thomas Ricart semble à la fois victime d'une méforme vocale et d'un mauvais choix d'interprétation en Tamino. Face aux aigus du rôle, il ne choisit pas entre appuyer et alléger, et son chant bascule ainsi de l'un à l'autre en cours de phrasé, alternativement serré ou manquant de matière. Les consonnes manquant absolument dans toute son articulation, le chant est inintelligible et les voyelles démesurées n'ont plus qu'un halo flou. Les quelques passages où il contient en l'assumant une délicatesse soufflée sont comme un rayon à l'horizon.
Le ténor du Texas Kevin Punnackal et le baryton du Costa Rica Andres Cascante offrent le duo Pylade et Oreste d'Iphigénie en Tauride, alternant mais en déployant des qualités tout à fait similaires, au point d'être confondantes : tous deux jouent la blessure en avançant penchés, leurs deux voix sont sonores, vigoureuses, intenses, résonnantes, toniques et riches en matière, à l'aise dans leurs tessitures respectives et même un peu celle de l'autre (le baryton monte sur un aigu intense, couvert et soutenu, le ténor a un appui grave et y descend sans problème). Tous deux s'appliquent beaucoup sur la prononciation française (quoiqu'elle reste encore difficilement compréhensible).
Dès sa première note, la soprano russe Margarita Polonskaya intime sa prestance en Iphigénie, rayonnant vers ses prêtresses (ses collègues chanteuses formant un chœur, chacune dans une travée de l'Amphithéâtre), vers le plateau et toute l'assistance. Sa voix allie la profonde chaleur de son assise grave et les résonances aiguës qu'elle contient dès le bas médium.
Les pianistes-chefs de chants sont extrêmement appliqués, ce qui est tout à fait compréhensible pour une rentrée et honorable pour accompagner pleinement les chanteurs. Malheureusement l'application et la concentration sont telles qu'elles entraînent une tension et produisent des incidents, des phrases trébuchantes (de fougue parfois). Leurs qualités s'expriment différemment lorsqu'ils dirigent l'ensemble instrumental à cordes. Paul Coispeau y retrouve la précision dans une discrète clarté. Mariam Bombrun déploie au contraire des gestes vigoureux ou amples.
L'Amphithéâtre de Bastille, rempli comme à l'accoutumée pour ces événements, applaudit et rappelle très chaleureusement les artistes.
Myriam Mazouzi, Directrice de cette Académie, vient alors rendre un vibrant hommage à Margaret Singer, artiste et pédagogue fidèle de la maison et qui s'est éteinte le 7 juillet dernier. En son honneur les jeunes artistes rejoints pour l'occasion par des anciens de l'académie, entonnent à pleines cordes (instrumentales et vocales) un Youkali des plus lyriques.