Duo de Vêpres à l’Abbaye de La Cambre
« Il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour. » (Genèse 1,5)
Les Vêpres ou Vigiles nocturnes signées du maître russe en 1915 sont ainsi entremêlées en alternance avec les mouvements des Vespers for a New Dark Age (2014) de l’américaine qui présentait récemment à Paris son opéra Breaking the Waves.
Vespers For A New Dark Age réinvente le service de prière traditionnel des Vêpres (prières du soir), apportant, dans la formalité de la composition des services religieux une part de notre ère technologique. Des claviers numériques mais aussi une batterie sont réunis avec violon, clarinette et contrebasse.
Les textes du poète américain Matthew Zapruder interrogent directement les nouvelles technologies, la spiritualité moderne et l'amour, nourrissant les inspirations musicales qui rappellent les grands noms de la musique moderne américaine. Étirant les lignes vocales comme David Lang, les rythmes répétés et mécaniques de Philip Glass, la mystique de Jóhann Jóhannsson et la sombre délicatesse de Jocelyn Pook, la compositrice engage un dialogue entre les époques et les continents.
En réponse au bloc américain, la Russie est offerte en version a cappella avec la partition de Rachmaninov, sous la direction de Bart Van Reyn à la tête du Vlaams Radiokoor (Chœur de la Radio Flamande). L’ensemble modèle une voix mystique et céleste ponctuée d'accents graves, profonds et d’aigus plus éthérés. La balance subtile se conserve lorsque les voix se mêlent et se démêlent vers les extrémités des timbres. Les tenues sont soufflées voire presque chuchotées, à la limite d’un silence religieux, avant de plonger dans des graves abyssaux.
Chaque passage de Rachmaninov à Missy Mazzoli est accompagné par un son de synthétiseur, comme une transition offerte, dans cette église d’Abbaye, vers la modernité, s’éloignant de la tonalité. La compositrice peut ainsi déployer son alchimie bien particulière, réunissant des éléments de musique chorale liturgique, d’un lyrisme contemporain, de jazz-rock : d’une solennelle modernité.
Moires à la voix de sirènes, les tessitures aiguës modulent leurs lignes de chants éthérées, droites, atonales, d’un effet acoustico-électronique. Annelies van Gramberen marque par une expressivité élégante, ronde et fluide tout en s’alliant avec la voix de Katrien Baerts, moins ornementée, humble, légèrement en retrait. Bauwien van der Meer dessine de son mezzo-soprano une ligne vocale riche et légèrement cuivrée, offrant pourtant des aigus purs et très clairs. Leur réunion résonne d’autant plus avec la richesse d’un son timbré, spectral, tout rappelant les mythiques synthétiseurs KORG.
En une heure de temps, l’auditoire visiblement coupé de la réalité traverse ainsi une spiritualité séculaire et sacrée. L’ovation debout, chaleureuse, calme et tempérée à la fois, répond à la richesse oxymorique de ce concert.