Champagne et paillettes à L’Olympia Symphonique
Le thème choisi est celui des années 1930, une époque certes douloureuse pour la vieille Europe qui a vu monter les extrémismes de tout poil en son sein, mais aussi marquée par un désir frénétique de fête, d’excès et de décadence après la rigueur de la crise économique de 1929 (une ambiance qui fait écho à notre époque aussi déboussolée, en quête de frénésie et de bonheur tous azimuts malgré les dangers anxiogènes qui la menacent).
C’est à l’Orchestre des Frivolités Parisiennes, dirigé par Quentin Hindley, qu’il revient de mener ce bal effervescent d’un bout à l’autre, ce que le jeune chef français assume avec un certain brio, faisant sonner sous les projecteurs multicolores de l’Olympia sa troupe d’une baguette vive, précise et toujours bien ajustée aux impératifs vocaux des solistes. Simplement, face à tant de précision, l'auditeur aurait apprécié un petit surcroît d’âme et de folie, des envolées un peu moins timides ou des codas (conclusions) un peu moins sages.
Pour le reste, les Frivolités alignent avec prestance des numéros bien huilés, très bien construits, avec des cuivres puissants mais maitrisés et des bois très suaves, notamment dans le premier numéro très brillant de Vincent Youmans, No no Nanette.
Aurélien Pascal est le seul soliste instrumental de cette soirée façonnée façon Gala. Le violoncelliste exécute avec fougue et véhémence le Final du Concerto pour violoncelle de Victor Herbert particulièrement virtuose.
Dans ce temple des musiques actuelles, l’orchestre et les chanteurs sont tous (une fois n’est pas coutume) amplifiés soit par des micros sur pied soit par des micros HF, l’acoustique de l’Olympia n’offrant pas la résonance indispensable au déploiement des voix lyriques. Dans ce contexte, les chanteurs n’en sont pas moins à l’honneur et c’est Marie Perbost qui ouvre véritablement la soirée de son soprano fluide et opulent, avec Musique Musique ! de Bruno Coquatrix qu’elle délivre avec des talents de comédienne très chevronnée en déployant son médium riche et élégant.
Benjamin Appl (qui vient de croquer le fruit défendu à Saint-Denis) lui succède, en interprétant la Sérénade de Don Giovanni avec une ligne certes joliment déroulée mais avec une nonchalance presque désabusée qui ne rend pas justice au personnage.
Eugénie Joneau a l’air de follement s’amuser avec les rythmes et les espagnolades comiques de l’air I am easily assimilated du Candide de Bernstein, mais surtout en offrant un timbre cuivré et rond d’une belle richesse harmonique, et un savoir faire dans l’homogénéité des registres, une facilité évidente dans l’aigu, une prestance comique sans faille qui lui valent une ovation à chacune de ses interventions.
Laurent Naouri, qui doit lutter contre des soucis de micro lors de sa première intervention, fait montre de ses talents confirmés d’acteur, en concentrant sa prestation sur des numéros de crooners, notamment le I’m a gigolo de Cole Porter, qui lui sied à merveille tant il semble se délecter à jouer les Sinatra parisiens avec une faconde surprenante. Si son timbre pouvait paraitre anguleux et rugueux dans certains grands rôles de Rameau à Debussy, ici le velours de la voix et la beauté du grain, ainsi que l’aisance dans la tessiture, emportent l’adhésion du public.
Matthieu Justine signe un impeccable "Je crois entendre encore" des Pêcheurs de perles, servi par un legato limpide et audacieux, par une clarté de timbre très séduisante et par une belle musicalité. Dommage qu’il ait préféré une anti-sèche mal dissimulée dans sa main plutôt qu’un simple pupitre avec partition pour le Là-Haut de Maurice Yvain qui aurait pu être plus flamboyant.
Mais la star la plus connue du public de l’Olympia (peut-être un peu plus diversifié que celui des salles de récitals parisiennes habituelles), est bien Pretty Yende, qui a notamment eu accès à une renommée mondiale allant bien au delà du public lyrique en chantant au récent couronnement de Charles III.
La soprano sud-africaine délivre, en trois prestations très éloignées ("I feel pretty" du West Side Story de Bernstein, la Valse de Juliette de Gounod et La Vie en rose de Piaf) une prestation mémorable, d’abord par son engagement scénique à la fois très sobre, extrêmement précis et convaincant, par l’ampleur de son médium et de ses graves qui emplissent l’immense salle en un dixième de seconde, par l’émotion intacte et renouvelée qu’elle insuffle à chacune de ses phrases, et par la beauté rayonnante des ses grands aigus, tellement bien mixés et conduits qu’ils sont couverts d’une nappe d’or à chaque franchissement du passage (entre les registres).
Le public de l’Olympia acclame ces chanteurs aguerris qui reviennent pour chanter un bis que personne ne saurait renier : "Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ?"