Céphale et Procris, A Nocte Temporis - voix tragiques et célestes à Bozar
Retour aux sources de la musique lyrique conjuguée au féminin, l'art baroque d’Élisabeth Jacquet de La Guerre se dessine lumineux sous la direction et l'interprétation de Reinoud van Mechelen. En effet, il dirige cette tragédie lyrique (d'après les Métamorphoses d'Ovide) et incarne l'amant dans ce couple tragiquement séparé par les dieux.
Reinoud van Mechelen allie ainsi, dans sa direction et dans son chant le souci d'une technique recherchée, architecturée sur sa tessiture de haute-contre : typique de l'époque et du répertoire. A Nocte Temporis (littéralement Depuis la nuit des temps, fondé en 2016) est le reflet orchestral de cette voix et son prolongement vers les riches timbres des instruments anciens (partant des cordes et violes mais jusqu’aux percussions de tambourins, crécelles et castagnettes). Le rendu sonore est fin et habité, mais emporté et ample sous les mouvements du chef à la limite de la danse de cour, enlevée, élégante et piquée. Le rythme cyclique et la prosodie baroque, la préservation de la langue historique sont maîtrisés et vivants.
Il dirige face à son ensemble et se retourne vers le public pour chanter, mais il continue alors de diriger quelques temps, de dos et par l'appui de ses notes tenues, empreintes d’un souffle impliqué. Les aigus sonnent directs et sensibles, les graves ronds, rythmés sans apparente difficulté, le tout alliant le tragique au plaisir du chant à l'image de l'amour et des misères des personnages. Dans son autre rôle, celui de la divinité marine Nérée, la voix se fait plus droite et puissante, d'une autorité certaine.
Les protagonistes solistes marquent par leur précision et la parure psychologique donnée à leur rôle en concert. Deborah Cachet incarne le rôle-titre féminin (Procris) d’une grande humilité. Les notes notamment aiguës sonnent aériennes, tenues et enrobées, teintées d’une chaleur particulière. Jamais acide, la voix ample et souple, répond à la présence altière. Vive et habitée, Ema Nikolovska incarne l'Aurore avec une grande théâtralité en accord avec la voix, déterminée par l'amplitude du souffle mais très précise dans la prosodie, véloce, énergique.
Le baryton Lisandro Abadie dessine les rôles de Borée et de Pan avec une précision d'autant plus remarquée que sa voix est profonde, mais mêlée à la prosodie baroque piquée. Lore Binon interprète Flore et Dorine également avec vélocité et précision dans une intensité piquée, acidulée vers les aigus, chaleureuse dans des graves subtils. Samuel Namotte en Arcas se montre plus discret dans les premiers actes, mais assied finalement son lyrisme tout en conservant l'ample souplesse de son phrasé.
Gwendoline Blondeel en Iphis et Prêtresse montre une certaine autorité de voix : les aigus sont ornementés mais aussi droits et directs dans un alliage plus moderne que le reste du plateau qui s'exprime dans les canons baroques. Marc Mauillon détonne néanmoins dans la distribution en incarnant l'allégorie de la Jalousie, avec une voix certaine et puissante, féroce même. Tenant une ligne autoritaire, les développements tragiques sonnent d'autant plus déchirants (d'autant qu'il s’impose avec une théâtralité qui lui assure une présence remarquée).
Les vingt chanteurs du Chœur de Chambre de Namur appuient l'amplitude des solistes, certains les rejoignant : Wei-Lian Huang (bas-dessus) au timbre haut et clair, net et pur, tenu et ornementé, Pauline de Lannoy plus chaleureuse et généreuse dans cette tessiture, et les graves fermes du baryton Laurent Bourdeaux aux interventions assurées.
Le public ovationne les artistes, après les transports musicaux et amoureux de cette capsule temporelle.