“Sous l’Océan” : Rusalka les pieds dans l’eau à Toulouse
À l’acte II, la couleur argentée de l’eau devient celle des bouteilles en plastique que ramassent le Garde Forestier et le Marmiton, la nature est remplacée par un monde futuriste, entouré cette fois de grands panneaux noirs aux allures de circuits électriques, mais toujours ceinturé par l’eau. Des princes et des princesses se tournent autour, s’étreignant et se déchirant, les mains-totems remplacées par des gants de cuir rouge que porte la cour, et qui servent à se toucher, s’étrangler ou se caresser.
L’acte III nous ramène au lac, avec ses danseurs-poissons dirigé par l’Ondin qui hante le bassin, agitant les mains de manière grandiloquente ou rampant dans l’eau comme un vieillard. La dernière image nous montre le Prince au fond bassin, observé du bord par Rusalka, sous les mains géantes qui reçoivent une pluie de gouttes lumineuses.
Au final, cette mise en image est singulière, parfois déroutante, mais lisible car elle ose prendre le conte au sérieux : si les contraintes techniques donnent par moments des gestes maladroits, quelques trouvailles restent en mémoire comme cette première entrée du Prince dans le lac, où Rusalka lui baigne les pieds pour l’accompagner dans son passage vers le monde aquatique, et qui se rejoue, mais inversée, à l’acte III.
Côté chanteurs, Anita Hartig en Rusalka impressionne : le timbre argenté possède un mordant bienvenu qu’il garde dans toute la tessiture, avec une manière de caresser les sons. La voix brille du piano au forte mais la chanteuse s’en sert avant tout pour déclamer un texte auquel elle apporte à la fois fragilité et feu. Si les derniers aigus, puissants et ronds, laissent apercevoir un peu de fatigue, l’interprète se donne toute entière, incarnant un personnage délicat, un peu maladroit même, et émouvant.
Son père est ce soir Aleksei Isaev : le timbre de l’Ondin Vodnik est très séduisant, noir et noble, même s’il blanchit par moments. Les aigus sont particulièrement heureux, ronds et facilement abordés, mais l’autorité de l’instrument est plus nette dans le haut de la tessiture que dans le grave. L’acteur se donne lui aussi entièrement : toujours nageant dans l’eau, il sait surtout faire passer la tendresse et la mélancolie du personnage comme dans son intervention déchirante de l’acte II où il traverse la scène, rampant en bord de plateau, avec une dignité douloureuse.
Le Prince de Piotr Buszewski possède une voix claire et ductile, plus tendre que vaillante, même si le chanteur ne recule pas devant les difficultés du rôle. Les aigus sont là, abordés par en dessous mais sûrs et rayonnants, le medium est plus léger mais se pare de teintes lumineuses. Le ténor est prometteur, prêtant sa jeunesse et un côté rêveur à ce personnage un peu veule.
L’entrée de Claire Barnett-Jones en Jezibaba est efficace : chauve, toute en noire, couverte de colliers et de talisman. La chanteuse a pour elle un timbre juvénile et rond, elle se montre à l’aise sur une tessiture pourtant difficile, à cheval sur les registres. Si l’instrument n’a peut-être pas toujours l’impact attendu pour ce rôle (notamment l’extrême aigu qui s’efface un peu), la mezzo y déploie un beau legato et un sens du texte qui fonctionnent pleinement.
Béatrice Uria-Monzon a peu à chanter en Princesse étrangère. Elle fait néanmoins entendre une voix puissante, au timbre ambré quoique parfois un peu instable, découvrant ses jambes pour se pavaner langoureusement autour du Prince.
Dans les seconds rôles, Fabrice Alibert (le Garde Forestier/Le Chasseur) et Séraphine Cotrez (le Marmiton) forment un couple complémentaire : lui possède un timbre claironnant et sonore, quand elle déploie un legato soyeux. Les trois nymphes (Valentina Fedeneva, Louise Foor et Svetlana Lifar) ont peu à chanter (mais elles le font entièrement plongée dans le bassin !), faisant entendre trois voix de solistes intéressantes et complémentaires.
Côté orchestre, si la direction de Frank Beermann révèle l’énergie et le lyrisme d’une partition qui regarde souvent du côté de Wagner, le chef a tendance à pousser ses musiciens vers le forte, partant rarement du piano, ce qui met parfois les chanteurs en difficulté. Malgré ce déséquilibre, le chef donne son souffle à cette partition, soutenu par l'Orchestre national du Capitole aux belles sonorités avec un Chœur sonore et efficace dans ses interventions.
Le public applaudit chaleureusement un spectacle de plus de 3 heures pourtant sans longueurs : impression à confirmer sur cette page même où vous pourrez écouter la retransmission de France Musique, samedi 12 novembre à 20h.