Opéra à la Philharmonie : grande soirée dansée avec Kent Nagano
Kent Nagano, entre deux dates d’A Quiet Place à l’Opéra de Paris (notre compte-rendu) emmène cet orchestre du Palais Garnier à la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Entre Armonica de Jörg Widmann, les Wesendonck Lieder de Richard Wagner et la suite pour orchestre Le Bourgeois gentilhomme de Richard Strauss, le programme semble offrir peu de points communs, mais révèle une certaine idée originale du mouvement de danse. Chacune des pièces met en valeur un soliste : l’armonica de verre, instrument fascinant notamment connu pour son emploi dans Lucia di Lammermoor et ici joué par Christa Schönfeldinger, la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova (ici image de Mathilde Wesendonck, qui a écrit ces poèmes mis en musique par Wagner et fut sa muse platonique, inspiratrice esthétique d’Isolde) et enfin Monsieur Jourdain, le bourgeois gentilhomme présenté à travers chacune des pièces de sa suite.
Kent Nagano se fait donc chef d’orchestre mais aussi maître de ballet symphonique. Il tisse les œuvres avec une grande subtilité, en s’y imprégnant lui-même. Sa direction, franche et directe, lui permet de mettre en valeur toutes les nuances (esthétiques et volumiques) des pièces, tout en donnant à chacun des solistes sa véritable importance. Comme des danseurs sonores, les instrumentistes investissent l’espace (par leur son se dilatant pour s’exprimer). A ce jeu, le violon solo Frédéric Laroque va jusqu’à se lever dans les suites, comme dansant la gigue avec Jourdain.
Le chef revient ainsi dans cette même salle et pour le même cycle des Wesendonck Lieder de Richard Wagner qu'il dirigeait en 2019 avec Marie-Nicole Lemieux. La mezzo-soprano Ekaterina Gubanova bénéficie ici encore d'une grande liberté d’expression, dont elle ne se saisit que peu, restant statique et préférant à l’interprétation une maîtrise stricte des cinq pièces dans une version très intimiste. L’aisance de la chanteuse est néanmoins évidente, associant des tenues remarquées à une quasi absence de vibrato. La voix, ample, prend donc dans ce dépouillement voulu un aspect quelque peu acétique, qui amoindrit les hésitations émotionnelles des textes des Lieder, mais les compense par des aigus puissants et animés. Les musiciens solistes, et notamment le violoncelliste Aurélien Sabouret, en duo avec la voix, trouvent alors une harmonie particulièrement délicate.
La grâce française de l’Orchestre de l'Opéra National de Paris met en avant la légèreté, préparant les choix d’interprétation de la mezzo-soprano avec les sonorités oniriques de l’armonica de verre, ou les prolongeant dans une version enthousiaste de la pièce de Strauss, qui met particulièrement en valeur les pupitres des vents. Les quelques moments de flottement rythmique sont rapidement compensés par un bonheur visible (pour une fois, ils ne sont pas dans la fosse) des musiciens, dynamiques et engagés, à la joie communicative. Le public est charmé et ravi, et les bravos fusent devant les musiciens, la chanteuse et le chef, comme autant de beaux danseurs.