Splendeurs à Versailles : grands motets de Lully dans la Chapelle Royale
Lully compose les grands motets pour donner de la noblesse aux messes basses (dites par le prêtre) auxquelles Louis XIV assistait, transformant les offices en fastueux concerts, marque de l’absolutiste pouvoir royal. Trois d'entre eux figurent au programme : Benedictus, de facture grandiose que Lully composa juste avant sa mort, Notus in Judea Deus célébrant la Gloire de Dieu et, Domine Salvum fac regem (Dieu sauve le Roi), qui était interprété en l’honneur du Roi pour clore les offices religieux et les grandes cérémonies.
Accompagnées du Magnificat d’Henry Du Mont, organiste en charge de la musique de la Chapelle et de la chambre du Roi, ces grandes pièces sont précédées d’antiennes à l’usage de la Chapelle Royale (chants d’entrée de la célébration de la messe). Pour que l’immersion dans le répertoire sacré du grand siècle soit totale, des pièces d’orgue de Guillaume-Gabriel Nivers et de Nicolas Lebègue, deux fameux organistes de l’époque, sont insérées au programme, faisant découvrir ou redécouvrir au public la somptueuse sonorité des différents jeux de l’orgue du lieu.
Stéphane Fuget restitue ces œuvres au plus près de l’esprit versaillais, mobilisant un effectif conséquent d’interprètes. Vingt-quatre violons (les vingt-quatre violons du Roy incarnaient la magnificence des cérémonies royales), un continuo étoffé, une bande de hautbois et un ensemble de flûtes (pouvant aller jusqu’à huit). Cet instrumentarium fourni offre aux pages symphoniques une riche palette de couleurs et une multitude d’ agencements possibles répondant aux affects variés des œuvres. Les hautbois portent la flamboyance des tutti et les flûtes, une grande douceur. Dans un effet saisissant, elles évoquent le sommeil des ennemis, rappelant la scène du sommeil dans Atys, l’inspiration créatrice de Lully ne présentant pas de frontière entre opéra et musique sacrée.
Stéphane Fuget anime ses troupes en indiquant davantage les phrasés et les expressions que le simple tactus (tempo). Il imite le vibrato des violons lorsqu’il désire plus d’intensité, balaye l’espace de larges mouvements des bras pour un phrasé ample et pointe les index vers le ciel pour une précision accrue.
Fidèles aux pratiques de l’époque, les chanteurs solistes sont issus du chœur (répartis en deux groupes de chaque côté de l’orchestre), prenant place sur la première rangée lorsqu’ils doivent intervenir en solos, duos ou petits ensembles. Ainsi, tous les intervenants sont-ils amenés à s’exprimer en soliste, chacun apportant sa couleur vocale tout en présentant une homogénéité d’émission (vibrato contrôlé) et de style. Dans le respect des préoccupations du compositeur, le texte est rendu précisément par une déclamation nette, ne gagnant toutefois pas toujours les derniers rangs de la chapelle du fait de son acoustique réverbérante. L’art des ornements est néanmoins sensible, mettant en valeur certaines paroles, affirmant les cadences ou encore correspondant à l’aboutissement de certaines notes tenues. Parmi les nombreux chanteurs talentueux, Marc Mauillon se distingue en interprétant les antiennes a cappella. Sa voix de bariténor au timbre remarqué épouse les lignes mélodiques dans une grande simplicité, rendant toute l’intelligibilité du texte.
Avec ce concert, Stéphane Fuget s’apprête à graver un nouveau volume de l’intégrale des grands Motets de Lully pour le label « Château Versailles Spectacles ». La captation du moment requiert le silence du public prié d’éteindre leur téléphone portable. Mais c’était sans compter les annonces de fermeture du château, l'une se déclenchant à la toute fin du Motet Bénédictus, surprenant le chef les bras en l’air mais heureusement sans dommage pour l’enregistrement en cours : le motet était achevé.
Interrompant les applaudissements chaleureux du public, Stéphane Fuget dédie ce concert à une hautboïste de l’ensemble récemment disparue, et offre en bis l’éloquent final du motet Notus in Judea Deus, « Il (Dieu) est redoutable aux rois de la Terre »