Time Stretch, Gesualdo et Mahler à Radio France
Modernités musicales et mystères sonores
Le concert est l’occasion d’interroger l’écriture musicale et les mystères de la composition, avec une très grande pureté d’interprétation. Le programme fait le choix osé d’associer Time Stretch (on Gesualdo), pièce orchestrale du compositeur contemporain habitué de la maison ronde Bruno Mantovani (pièce créée en 2006) avec la Symphonie n°4 en sol majeur de Gustav Mahler (créée en 1901). Comme c’est le cas bien souvent avec les pièces contemporaines, Time Stretch fait office d’ouverture ou de prologue à Mahler, cœur du concert. Au-delà des différences d’harmonie et de style, l’association reste cependant assez intéressante. Bruno Mantovani, dans Time Stretch (on Gesualdo) s’est en effet inspiré des célèbres madrigaux du compositeur italien de la fin de la Renaissance, en utilisant la base harmonique comme point de départ de la déstructuration, mais dans un volume orchestral proche de celui de Mahler. La Symphonie n°4, assez intimiste, est aussi l’une des plus intrigantes de Mahler, avec un certain nombre d’incongruités musicales (violon solo accordé un ton plus haut, harmonie très diversifiée), qui trouve un écho dans les expérimentations de Mantovani.
La principale vedette du concert est ici Cristian Măcelaru, qui travaille le son et les volumes avec un talent rare. Le chef ne cède pas à la facilité, et construit peu à peu, toute en finesse, la subtilité des masses orchestrales. La volonté déconstructive de Bruno Mantovani freine l’idée d’une cohérence d’ensemble, mais met a contrario l’accent sur la grande narrativité technique de Mahler, que domine Cristian Măcelaru. Les difficultés de la création contemporaine, en vis-à-vis de l’évidente maîtrise de Mahler par l’ONF, laissent toutefois les musiciens comme le public dans une position quelque peu inconfortable (en témoignent les parties de Luc Héry, violon solo qui assume son rôle avec finesse et efficacité dans la Symphonie, mais un peu plus de timidité dans Time Stretch). Certains pupitres sont néanmoins remarqués dans les deux pièces, et en particulier les bois. À la clarinette, Carlos Ferreira sort véritablement du groupe, et construit de très beaux échanges avec l’hautboïste Thomas Hutchinson, secondés par Laurent Decker avec un cor anglais très fin.
Mais l’élément le plus surprenant du concert est la présence de la soprano Hanna-Elisabeth Müller, dans le quatrième mouvement de la Symphonie où elle envoute un public peu nombreux mais conquis, comme en témoignent les assez longs applaudissements à la fin du concert. Elle s’engage ici avec une grande technique qui lui permet de projeter sa voix par le sommet, tout en conservant une très grande chaleur et souplesse. Ses aigus sont très cérébraux mais élégamment maîtrisés, dans la construction d’une grande ligne mélodique qui augmente une tension constituant l’essentiel du mystère vocal de la chanteuse. Si Hanna-Elisabeth Müller lâche pourtant parfois un peu vite le souffle, son vibrato naturel dans les tenues contribue à alléger l’interprétation, associé à une grande aisance dans les intonations plus rapides, qui montrent une diction qualitative (bien que prenant parfois quelques libertés avec le tempo). Hanna-Elisabeth Müller se détache en effet ici complètement du texte d’inspiration biblique et bucolique pour laisser libre cours à son interprétation. Encore une fois, Cristian Măcelaru travaille avec une grande finesse l’intensité de la pièce, et alterne les nuances pour laisser la place nécessaire à l’expression de la voix. Ce duo du chef et de la voix, comme les deux pôles d’une écriture singulière, offre l’étonnement d’une version moins positive qu’attendue, dans un concert qui délaisse la facilité et l’évidence pour y préférer le mystère de l’association entre la voix et la partition instrumentale.