Nabucco à Londres : chœurs d'éclats pour coup d'état à Covent Garden
La production épurée de Daniele Abbado est basée sur un décor minimaliste qui utilise des pierres debout grises et, pour représenter les divinités dans les scènes à Babylone, des sculptures en fil de fer de couleur blanc cassé (en particulier la statue de Baal qui est détruite durant la quatrième partie).
Les costumes sont également gris et dans un style des années 1940 qui semble évoquer une atmosphère d’holocauste mais ce n'est (peut-être heureusement) jamais pleinement développé. Brillamment éclairés par Alessandro Carletti, les décors sont complétés par une duplication en vidéo filmée d'en haut, ce qui donne une curieuse et habile impression de quadri-dimensionnalité à la production.
Amartuvshin Enkhbat chante le rôle-titre (comme à Lyon et au Théâtre des Champs-Élysées en 2018). Le baryton mongol dispose de toute la gamme exigeante du rôle : puissance sur toute la gamme et un véritable éclat dans les aigus au-dessus de la portée. La présence dramatique manque cependant, surtout au début (son costume anodin n’aide certes pas, et son seul geste dramatique consiste à enlever sa veste parmi quelques rires étouffés du public). L’interprète est beaucoup plus convaincu dans les dernières parties de l'œuvre en héros endommagé : son duo avec Abigaille dans lequel il plaide pour la vie de sa fille est pleinement persuasif.
À l'opposé de Nabucco parmi les Hébreux, Zaccaria incarné par Alexander Vinogradov donne une performance reçue avec délectation par le public, pendant et après (aux saluts). La voix de Vinogradov semble tout simplement faite pour ce rôle : son grave « freno al timor! » à la fin de son monologue d'ouverture, en grande partie sans accompagnement, envoûte quelques minutes seulement après le début de la représentation. Il s’exprime aussi fortement dans le registre supérieur, avec autant d’éclat que Nabucco. Malgré son costume peu attrayant, la basse russe laisse une grande empreinte dramatique sur la scène rendant la force aux vaincus.
La situation entre vainqueurs et vaincus est rendue encore plus déséquilibrée dans la première partie par la riche interprétation de Najmiddin Mavlyanov en Ismaele. Il se glisse dans le drame sans aria propre mais avec des passages clés dans l'action. Son ténor se mêle aux ensembles avec une voix harmonieuse et mélodieuse, agile et douce.
Les petits rôles masculins sont encore plus éphémères : le prêtre de Baal par Blaise Malaba n’a pas le temps de déployer profondeur ou projection, tandis que le ténor Abdallo d'Andrés Presno (également jeune artiste du programme Jette Parker) semble bien trop jeune de voix pour son rôle d’officier. Toujours dans les espoirs, April Koyejo-Audiger (personnage d'Anna) gère bien le stress et la difficulté de devoir simplement annoncer que Fenena s'est convertie au judaïsme.
Les discussions vont bon train parmi le public en amont et les avis divergent quant à l'absence d'Anna Netrebko dans le rôle d'Abigaille (invoquant les « restrictions de voyage actuels en Europe »), mais Liudmyla Monastyrska poursuit ainsi sa série de représentations interrompues depuis la fin de l'année 2021. Elle sait même rendre un chant agréable à ce personnage qui est tout l’inverse. Même si elle ne dispose pas de l’agilité (parfois presque colorature) requise, sa présence est imposante avec une puissance culminant vers sa scène finale (l'empoisonnement et le pardon, pleins de pathos).
Beaucoup de spectateurs applaudissent l'interprétation de Vasilisa Berzhanskaya dans le rôle de Fenena, pour son grand sens de la ligne, son contrôle vocal sans effort et cohérent sur toute la gamme, sa maîtrise des grupetti (notes rapides ornementées), dans un timing presque parfait et une dynamique soigneusement contrôlée. Sa prière dans la quatrième partie est l'un des points forts de la soirée.
Nabucco est aussi, voire surtout une affaire de chœurs : hébreux asservis, soldats babyloniens, soldats hébreux, lévites, femmes hébreux, femmes babyloniennes... Le Chœur de Covent Garden, comme toujours dirigé par William Spaulding, domine ainsi le spectacle, d’autant que la production fait un grand usage de la grande scène et des possibilités de contrastes entre les masses de personnes et de sons. La diction n’est toutefois pas aussi bonne que d’habitude et pourtant elle n’empêche pas le déploiement vocal, lyrique et harmonieux. L’Orchestre de Covent Garden dirigé par Daniel Oren déploie également sa superbe, avec des merveilles extraites des cuivres en particulier. De quoi annoncer l’accueil sonnant du public au rideau.