Le Messie de Haendel revisité par Hans-Christoph Rademann au TCE
Hans-Christoph Rademann, le charismatique chef du Gaechinger Cantorey basé à Stuttgart, a choisi de proposer, pour cette interprétation du chef d’œuvre du caro sassone, l’intégralité en trois parties (Nativité, Crucifixion et Résurrection) et a opté pour la version de la création à Dublin en 1742, sans cors ni trombones.
Ce choix est assumé par Rademann de manière assez radicale en termes de musiciens au plateau : l’effectif instrumental comporte à peine plus d’une vingtaine d’instrumentistes, continuo compris, et le chœur est allégé (cinq chanteurs par pupitres) : plus proche donc d’un effectif habituellement associé aux Cantates de Bach qu’aux grands oratorios anglais. Le résultat en comporte les avantages et les inconvénients : la matière musicale y apparait comme très épurée, et l'auditeur se surprend à entendre des motifs instrumentaux insoupçonnés, ou le détail de l’architecture ciselée des grands entrelacs choraux. Mais ces options atténuent conséquemment la magnificence et l’opulence des grands ensembles comme des cadences chorales triomphales qui donnent un éclat particulier à cette musique. D’autant que l’acoustique du Théâtre des Champs-Élysées, si elle a le mérite de la clarté et de la finesse, ne donne aucune étoffe supplémentaire aux voix et aux instruments. Il en ressort une version réduite à l’ossature de la musique, qui donne à cette partition, pourtant fort connue, un éclairage nouveau.
Rademann insuffle à son ensemble une énergie galvanisante, dansant et sautillant comme un beau diable pour soigner chaque phrasé et redonner de la vitalité à chaque numéro. Les lignes en ressortent aérées et gracieuses, dansantes et fébriles, comme régénérées par un bain de jouvence. Ses instrumentistes répondent avec enthousiasme à sa direction, offrant des inflexions précises, une grande souplesse de jeu, des attaques toujours soignées, un son rond et soyeux, avec une grande inventivité dans la conduite des phrases.
Le chœur, qui reste le protagoniste principal de cette œuvre roborative, à mi-chemin entre théâtre sacré et oratorio lumineux, offre ici une prestation tout à fait louée. Le sérieux de la préparation est évident dès les premières phrases du And the glory of the Lord shall be revealed. Malgré leur nombre restreint (cinq par pupitre !), les chanteurs du Gaechinger Cantorey délivrent une performance impressionnante : homogénéité parfaite des pupitres, écoute collective soutenue, phrasés toujours millimétrés et évocateurs, et surtout une grande attention à la construction globale de chaque numéro. Leur théâtralité est notable par exemple dans le Surely he has borne our griefs, mais laisse cependant un peu frustré lors des grandes cadences étincelantes, par le côté intimiste. Ce caractère est certes assumé par cet ensemble qui propose, notamment dans les grands chœurs conclusifs comme le Hallelujah ou le Amen final, en lieu et place de la grandeur solaire d’un immense taffetas soyeux, une dentelle finement sculptée et très soigneusement élaborée mais quelque peu éthérée, voire évanescente.
Dorothee Mields domine clairement le plateau de soliste. Chaque récitatif est une petite scène de théâtre, chaque attaque est d’une douceur et d’une précision remarquées, chaque phrase est pensée et délivrée avec une simplicité radieuse qui fait mouche, et va jusqu’à donner des frissons dans la cadence finale du Rejoice greatly par la justesse et le brillant de ses aigus.
Marie Henriette Reinhold déploie avec aisance et certitude l’opulence de son timbre charnu et coloré de mezzo. Elle assume avec aisance les grandes lignes du O thou that tellest good tidings to Zion, mais le grave du registre est mis en difficulté dans les parties très contraltisantes du If God be for us ou du poignant He was despised, où la matière du bas de la tessiture lui fait défaut.
Le ténor Benedikt Kristjánsson dispose d’un timbre très gracieux et d’une grande facilité dans la quinte aiguë. Mais la projection, ce soir là en tous cas, est par trop irrégulière, et donne l’impression qu’au lieu d’assumer chaleureusement le grand Comfort ye introductif, il entre dans l’œuvre sur la pointe des pieds, et ne se départ pas de cette distanciation, à laquelle s’ajoutent un soutien aléatoire et du même coup un médium manquant de justesse.
Tobias Berndt au contraire affirme une ampleur et une tonicité sur tout le registre de son baryton, avec un soin qualitatif dans toutes ses interventions. Son Why do the nations, par la rage et la véhémence qu’il y projette, et par la qualité de ses vocalises découpées au fleuret, cloue l’auditoire sur place.
Une soirée en définitive intéressante sur le plan musicologique, et truffée de beaux moments d’émotion, mais dont le manque d’ampleur un tantinet frustrant montre une acoustique un peu trop sèche. Le public du Théâtre des Champs-Élysées, néanmoins séduit par cette lecture éloquente, réserve un accueil chaleureux à l'ensemble allemand et aux quatre solistes.