Mahler intime conté avec bonheur par Ian Bostridge et l’Orchestre de chambre de Paris au TCE
L’Orchestre de chambre de Paris, dirigé par Lars Vogt, invite le ténor britannique dans un programme conçu comme un voyage dont le départ et l’arrivée sont des chants folkloriques : Des Knaben Wunderhorn (Le Cor enchanté de l'enfant) de Gustav Mahler et les Five French Folk Songs de Benjamin Britten. Dans ces deux œuvres qui font la part belle au texte, Ian Bostridge ne paraît jamais se préoccuper de produire du “beau”, mais semble uniquement animé par les mots et la symbiose avec l’orchestre. Rarement les Lieder de Mahler sont interprétés avec une telle violence. Le corps du chanteur, long, fin et sec, se plie, se délie, se tord, constamment en mouvement, et finit par lui donner l’allure d’un personnage aviné racontant avec amertume son histoire dans un bar glauque. Mais ici tout le monde l’écoute avec intérêt, peut-être parce qu’il se dégage de son interprétation quelque chose de complètement désabusé, une lassitude qui va de pair avec l’époque que nous vivons, et Bostridge tisse avec dextérité une toile sombre dont la seule lumière est la musique.
Il trouve chez Britten un humour, certes teinté de cynisme, qui lui permet plus de légèreté, bien que le texte lui donne du fil à retordre. Moins à l’aise que dans la partition de Mahler, il s’aide d’un pense-bête discrètement glissé dans sa main pour naviguer dans les méandres de ce texte ardu et jette l'œil une fois ou deux sur le pupitre du chef. Malgré tous ses efforts, le texte se perd un peu plus dans le français que dans l’allemand, dans lequel il excelle particulièrement. Il chante toutefois avec une gouaille aussi convaincante qu’amusante.
La posture de Bostridge ne semble jamais posée : il laisse visiblement à son corps une liberté que tous les chanteurs ne pourraient se permettre, et cela paraît tenir du miracle qu’il parvienne à chanter avec la tête et le corps qui se tordent et se penchent sans arrêt. Mais le ténor dont c’est depuis longtemps devenu une signature, est de surcroît arrivé à un point de sa carrière où il semble pouvoir se permettre de se concentrer uniquement sur l’art de raconter et d’incarner le texte, sans se préoccuper de la technique. Il profite tout de même du moment des bis pour offrir un instant de lyrisme en choisissant deux Lieder de Franz Schubert (Der Wanderer an den Mond et Nacht und Träume : Le Voyageur à la Lune, Nuit et Rêves) dans lesquels, accompagné au piano par le chef, il se permet enfin de chanter pleinement. Amateur de la prise de risque vocale, Bostridge semble constamment sur le fil du rasoir, mais sa sensibilité est telle que l’émotion est immédiate. Le public visiblement sous le charme l’acclame avec chaleur.
Dans ces deux œuvres assez parallèles, l’Orchestre de chambre de Paris incarne un personnage à part entière, et porte l’interprétation de Ian Bostridge avec autant de ferveur que d’équilibre. Chaque pupitre fait montre d’une personnalité distinctive, tout en œuvrant sans cesse à l’harmonie générale. C’est également le cas dans les Métamorphoses si sombres de Richard Strauss. Lars Vogt n’essaie pas de fuir ou d’enjoliver cette obscurité, mais cherche au contraire à mettre en relief tout ce qui est âpre dans cette œuvre. La musique est à vif, d’un caractère brutal et râpeux, mais étonnamment réconfortant, tandis que l’orchestre trouve dans le Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré une sonorité plus tendre et délicate.
✨ @lars_vogt et @ianbostridge vous attendent ce soir à 20h pour la belle soirée « Mahler Intime » au @TCEOPERA ! À tout à lheure ! pic.twitter.com/50aZi5Egzw
— Orchestre de chambre (@orchambreparis) 13 janvier 2022