Duparc mélodiste en Instant Lyrique au Salon Marguerite de la Salle Gaveau
Proposer l’intégralité des mélodies d’Henri Duparc en une seule soirée (soit seize sur les dix-sept conservées : La Fuite, duo lyrique pour soprano et ténor sur un texte de Théophile Gautier se trouvant de fait écartée) relève de la gageure. En effet, cet ensemble admirable tout imprégné d’une sensibilité exacerbée et d’une émotion qui creuse constamment l’âme, peut apparaître un peu pesant à l’écoute dans sa pleine continuité. Les textes choisis par Henri Duparc reflètent en effet le pessimisme profond et la neurasthénie d’un compositeur qui choisit de détruire la majeure partie de son œuvre créatrice avant de se replier douloureusement en lui-même. Cette musique si particulière, assez éloignée de celle développée par ses confrères du temps dans le registre des mélodies, se rattache indéniablement plus au Lied allemand et aux influences de la musique germanique si admirée par Henri Duparc. Pour autant, la touche française les imprègne par quelques moments d’éclaircies et l’invention mélodique dont le compositeur fait preuve. Dans Monsieur Croche et autres écrits, Claude Debussy devait écrire à propos de ces mélodies : « Il n’y a rien à dire puisqu’elles sont parfaites ». Ce jugement s’impose pour les mélodies de Duparc les plus célébrées, les plus abouties, comme L'Invitation au voyage sur un poème de Charles Baudelaire, La Vague et la cloche sur un texte de François Coppée ou l’enivrante Phidylé sur un poème de Leconte de Lisle, morceaux que les plus grands chanteurs lyriques inscrivent régulièrement au programme de leurs récitals.
Le public salue ici l’initiative concertée des trois interprètes et amis assurément passionnés par ces mélodies, même si le résultat d’ensemble pourrait apparaître encore plus abouti. La musique de Duparc demande en effet beaucoup d’introspection de la part de l’interprète, au-delà des difficultés proprement vocales qu’elle affiche. Au sein du délicat Salon musical Marguerite à Gaveau, inauguré récemment en récital par Marie-Nicole Lemieux, la proximité avec le public peut faciliter la transmission mais aussi exacerber certains défauts ou déséquilibres. Stanislas de Barbeyrac déploie ainsi une voix de ténor pleine d’ardeur et de vive jeunesse, large et vibrante, trop même pour la Sérénade Florentine qui prend des allures de grand opéra. Et l’aigu se resserre lorsqu’il cherche à alléger. Son interprétation d'Élégie ou d’Extase lui permet d’introduire plus de nuances, de souplesse dans son chant. Thomas Dolié attaque aussi un peu en force avec Testament, pour ensuite privilégier l’instant musical et la couleur avec Chanson Triste ou La Vague et la cloche périlleuse mais que sa voix mature de baryton sombre sait mettre pleinement en valeur. Julie Pasturaud semble moins à l’aise que ses partenaires. Sa voix chaleureuse de mezzo-soprano n’imprègne pas avec la même intensité les mélodies qui lui sont confiées comme Au pays où se fait la guerre ou Phidylé avec le tempo trop rapide, imposé par elle-même.
Pour accompagner au mieux ces trois interprètes sur les chemins périlleux et exigeants d’Henri Duparc, Antoine Palloc se livre sans réserve, patient quand il le faut, plus affirmé à d’autres moments. Sans accentuer de façon excessive le dramatisme déjà largement présent au sein de chaque composition, il montre le plus juste chemin à chaque interprète, le plus musicalement abouti en terme d’expressivité, charge à chacun de s’en emparer pour le meilleur. Plus qu’un simple accompagnateur, Antoine Palloc se place une nouvelle fois en serviteur de la voix et de la musique.
Cette soirée dédiée à la mélodie est reçue avec chaleur par un public fort attentif et qui semble conquis.