Opérapiécé, un tourbillon lyrique et déjanté
Ces deux artistes ont réuni leurs talents d’arrangeuses, de mélomanes et de chanteuses pour offrir un savant métissage de tubes instrumentaux classiques, de chansons, de best of d’opéra, de mélodies savantes et de variétés populaires, qu’elles ont concocté à leur sauce.
C’est à William Mesguich qu’elles ont confié le soin de mettre en scène ce bouillonnant chaudron plein d’idées musicales disparates, et qui résume le projet avec ces mots réunis en un : Opérapiécé est comme un tourbillon, un vent de folie musicale et théâtrale qui souffle avec enthousiasme et émotion sur un public ravi. Les oreilles sont assaillies joyeusement par des airs classiques qui ont télescopé de la chanson française. Strauss et Chopin font des clins d’œil à Jacques Brel et Alain Souchon, Vivaldi côtoie avec espièglerie Jacques Dutronc, et Albinoni donne la réplique à Claude François. Les deux chanteuses ont tout pensé en amont : quelles pièces choisir qui soient immédiatement et systématiquement reconnaissables par un public non-averti, comment les assembler pour créer des anecdotes attachantes et sensibles, comment les raconter de manière lisible malgré le nombre considérable d’extraits proposés. Car elles ne sont pas avares en terme de répertoire. Tout ou presque est croqué en quelques phrases musicales, et saute joyeusement du coq à l’âne : de Tchaïkovski à Léo Ferré, de Rossini à Gainsbourg, de Chopin à Michel Legrand, de Gounod à Dalida, de Brahms à Johnny, de Verdi à Ophélie Winter ou de Ravel à Queen, avec une déconcertante facilité pour passer d’un style à l’autre.
La scénographie, très sobre et efficace, campe un petit bout de loge de théâtre avec ses ampoules poétiques en guise de source lumineuse au milieu de la scène, et les deux protagonistes évoluent autour de ce refuge symbolique pour illustrer des scènes très banales de la vie de deux artistes un peu perdues dans leur existence et dans la capitale : du quai de métro à l’agence Pôle emploi, jusqu’à un banc où se nouent et se dénouent des intrigues amoureuses, des saynètes d’où surgissent sans prévenir une Cendrillon de lendemain de fête ou une Fée Carabosse très contemporaine, saisissante dans sa robe en clin d’œil à Jacques Demy et à Peau d’Âne…
Aurore Bouston assume fièrement de sa voix de mezzo ample et chaude la ligne grave des duos, ayant recours à sa voix de poitrine pour colorer et donner une touche ‘chanson’ à tout ce qu’elle interprète, avec beaucoup de candeur et de délicatesse dans les rôles de jeune fille romantique et naïve.
Marion Lépine lui donne la réplique de son soprano central, très lyrique et ancré, avec des accents véristes qui donnent aux duos un côté ébouriffant et décalé bienvenu, et qu’elle enrichit de son timbre mordant et spinto.
Les deux montrent surtout leur souci du détail, leur aisance affichée (même dans les numéros rapides et fulgurants), la précision de leurs attaques et la justesse toujours impeccable de leurs interventions respectives.
Pour les accompagner, l’accordéon virtuose de Vincent Carenzi laisse défiler son long ruban sémillant et volubile avec une dextérité impeccable, aussi à l’aise dans Mendelssohn ou dans Chostakovitch que s’il était en train d’exécuter les grands succès d’Astor Piazzolla !
Pas véritablement d’histoire ici ni de fil directeur, et c’est d’ailleurs le bémol qui pourrait être apporté au spectacle : une absence de dramaturgie véritable qui suscite des petits creux de rythme. Mais cela ne semble pas gêner le public du Lucernaire qui réserve un accueil extrêmement chaleureux à ces deux walkyries délurées et attendrissantes.