Lisette Oropesa : "L'occasion de se montrer"
Lisette Oropesa, vous répétez actuellement le rôle de Marguerite de Valois dans Les Huguenots à Bastille : où en êtes-vous des répétitions ?
J’ai commencé les répétitions il y a trois semaines. Nous avons déjà travaillé toute l’œuvre par morceaux. Nous venons de faire une italienne [répétition accélérée pour mémoriser, ndlr] des scènes d’ensemble, dont le final de l’acte II dans lequel je chante beaucoup, puis nous travaillerons les airs et les duos.
Vous remplacez Diana Damrau sur cette production. Comment cela s’est-il fait ?
Je chantais Adina de Rossini à Pesaro. Michele Mariotti, qui dirige Les Huguenots et avec qui j’ai déjà travaillé, vit à Pesaro : il m’a proposé de faire ce remplacement. Une semaine après, je débutais les répétions qui avaient déjà commencé.
Il s’agit d’une prise de rôle : comment avez-vous travaillé pour l’apprendre en si peu de temps ?
Ça a été difficile. J’ai travaillé seule tous les jours avec le piano au conservatoire de Pesaro. L’Opéra de Paris m’avait envoyé la partition par e-mail. Je suis musicienne : cela m’aide beaucoup. J’ai écouté l’opéra et regardé des vidéos, mais les coupes et les versions sont très différentes d’une production à l’autre. Ensuite, j’ai délaissé la partition pour me concentrer sur le texte : je l’ai écrit entièrement (il est tout de même assez long !) et cela m’a beaucoup aidé à le retenir. Lorsque je suis arrivée aux répétitions, je ne connaissais pas parfaitement la partition, mais suffisamment. Je continue donc de peaufiner mon travail.
Lisette Oropesa dans Les Huguenots :
Ce remplacement vous met face à un autre défi : la dernière représentation des Huguenots a lieu le 24 octobre et vous enchaînez avec la Première de l’Élixir d’amour, toujours à l’Opéra de Paris, le 25 octobre. Comment vous organisez-vous pour cela ?
Je pense pouvoir le faire : le rôle n’est pas le plus long de l’opéra et celui d’Adina dans l’Élixir d’amour est dans un répertoire assez léger. J’ai tout de même demandé à l’Opéra de Paris de prévoir qu’une autre soprano puisse me remplacer si besoin. Les répétitions débuteront au lendemain de la première des Huguenots : je saurai alors si je suis capable de le faire. Les répétitions sont organisées pour que je n’aie pas de répétitions les jours et les lendemains matins des spectacles.
Le metteur en scène des Huguenots, Andreas Kriegenburg, travaille beaucoup en Allemagne mais est peu connu en France : comment décririez-vous son travail ?
Il travaille sur le texte, plus que sur la partition. Il nous donne des indications générales sur ce qu’il veut voir et les sentiments des personnages, et nous laisse beaucoup de liberté pour construire à partir de cela. Sa vision est assez abstraite, conceptuelle. La mise en scène est assez moderne et se situe dans l’avenir. Le décor est tout blanc et épuré. Il n’y a par exemple pas de jardin à l’acte II, mais un grand arbre : il utilise beaucoup le symbolisme. Il y a beaucoup de chœurs, des danseurs : la scène est grande, mais elle est bien remplie.
Que pouvez-vous dire de la distribution ?
Je connais bien Bryan Hymel [depuis remplacé par Yosep Kang, ndlr], qui vient de la Nouvelle-Orléans en Louisiane, comme moi. Par ailleurs, je suis la plus grande fan d’Ermonela Jaho. Karine Deshayes est fabuleuse, tout comme Nicolas Testé et Florian Sempey. Il y a de nombreux solistes.
Comment décririez-vous votre rôle ?
Mon air dure 15 minutes. Il est composé de coloratures, de chant léger, de chant lourd, d’aigus et de graves : il y a tout ! C’est exigeant. C’est comme un condensé du rôle de Konstanze dans l’Enlèvement au Sérail : tout ce que fait Konstanze en deux heures, Marguerite le fait en 30 minutes, sans repos. Un rôle comme Lucia ou Traviata permet de reposer la voix entre deux interventions, et de développer les personnages au fil de l’œuvre. Là, c’est à la fois très court et très intense.
La dernière fois que vous avez chanté à l’Opéra de Paris, c’était déjà en remplacement de Nadine Sierra, dans Rigoletto. Qu’en retenez-vous ?
C’était court. Heureusement, j’avais déjà chanté Gilda à de nombreuses reprises. J’étais à Glyndebourne et je suis arrivé vers 17h la veille du spectacle : nous avons travaillé jusqu’à l’extinction des lumières !
Appréciez-vous l’adrénaline que génèrent ces situations ?
Non, pas vraiment ! On peut voir ces situations de deux manières : le public est indulgent car il sait que les conditions sont difficiles, mais il y a aussi une certaine exigence, car c’est une opportunité pour se montrer. Or, le fait d’être choisi dans cette situation génère aussi de fortes attentes de la part d’une partie du public. Il y a beaucoup de pression, mais je la gère plutôt bien. Il faut dire que j’ai fait beaucoup de remplacements.
C’est d’ailleurs dans un remplacement que vous avez débuté au Metropolitan : comment cela s’était-il passé ?
J’étais en effet la seconde doublure. La chanteuse prévue était enceinte et a dû annuler. Finalement, Philippe Jordan, qui dirigeait la production, m’a proposé de chanter la générale et les deux premières représentations. Puis, après la première, il m’a offert les cinq représentations suivantes. J’ai eu là aussi très peu de temps pour répéter : pendant que l’orchestre jouait l’ouverture rideau fermé, le metteur en scène me faisait travailler le premier acte sur la scène. Heureusement, je chantais Susanna dans Les Noces de Figaro, qui est un personnage linéaire et dont il est aisé d’appréhender l’évolution dramatique. Par ailleurs, je me sens profondément mozartienne.
Meyerbeer n’est pas souvent joué. Pourtant, en plus des Huguenots, vous chanterez cette saison dans Robert le Diable (Isabella) en concert à La Monnaie : quelles sont les différences entre ces deux rôles ?
Isabella chante beaucoup plus. Son premier air, que j’ai déjà chanté, est aussi exigeant que celui de Marguerite. Mais elle en a un second. L’évolution du personnage est également plus poussée.
Vous avez chanté de nombreux rôles en français (voir ici sa lyricographie) : qu’est-ce qui vous rapproche de ce répertoire ?
J’adore cette langue. Elle permet tant de couleurs ! Le français a 16 phonèmes vocaliques quand l’italien n’en a que sept. Cela en fait la plus belle langue pour le chant. Par ailleurs, ayant grandi en Louisiane, j’ai appris le français étant petite.
Quels sont les rôles du répertoire français qui vous attirent ?
J’aimerais beaucoup chanter Juliette chez Gounod. Et puis, un peu plus tard, j’aimerais chanter Manon de Massenet. Micaëla (Carmen) est adapté à une soprano lyrique pure, alors que je suis lyrique agile. C’est souvent le cas dans le répertoire français : les rôles sont soit lyriques, soit colorature, mais très peu dans l’entre-deux. J’espère à l’avenir garder mon agilité tout en devenant plus lyrique. Marguerite dans Faust me sera alors peut-être accessible.
Revenons sur l’Élixir d’amour : comment appréhendez-vous cette production ?
Je ne connais pas encore la production de Laurent Pelly, mais tout le monde me dit qu’elle est très drôle. Il s’agira de ma prise de rôle. La première fois que je l’ai étudié, je me suis arrêté après 15 minutes, car je n’aimais pas ce rôle. Un an plus tard, le Met m’a proposé d’être doublure sur ce rôle, je m’y suis donc replongée à contrecœur. J’ai étudié le rôle avec Renata Scotto et Ken Noda et j’en suis tombée amoureuse : c’est un véritable chef-d’œuvre.
Votre répertoire est très divers : où vous sentez-vous le plus dans votre zone de confort ?
Je suis profondément belcantiste. Selon moi, tous les répertoires sont du bel canto : il faut chanter Haendel comme du bel canto. Il faut y soigner le legato et affronter du colorature, des trilles. Après, on y ajoute les spécificités stylistiques du répertoire : pas de vibrato ici, une variation là, une prononciation différente. Mais cela vient après. De même, la Fille du régiment est un opéra italien chanté en français : l’approche du chant y est belcantiste. J’aime cette variété : c’est intéressant ! Et ma voix s’adapte bien à ces différents répertoires. Dans les saisons prochaines, il y aura toujours du Verdi, du Mozart, de l’opéra français. J’adore écouter Wagner, mais les rôles que j’y ai chantés étaient des petits rôles : ce n’est pas un répertoire que je vais développer.
Vous avez débuté en 2006 avec Les Noces de Figaro. Quels ont été les grands marqueurs de votre carrière depuis ?
J’ai chanté ma première Gilda à la Nouvelle-Orléans, puis en Arizona. J’ai eu un grand succès et j’ai pu reprendre le rôle au Met, aux côtés de Vittorio Griglolo. J’ai eu un grand succès dans ce rôle à Madrid également. Mais j’ai connu mon plus grand succès dans Lucia di Lammermoor à Covent Garden l’an dernier et à Madrid il y a trois mois.
Quelles sont les maisons d’opéra dans lesquelles vous avez prévu des débuts prochains ?
Je vais faire mes débuts à Vienne, ainsi qu’à la Scala, dans Les Brigands au mois de juin. Ils n’avaient pas de soprano. Or, c’est un rôle que j’ai déjà chanté en concert : Michele Mariotti, encore lui, me l’a proposé. D’autres maisons montrent de l’intérêt sans que des contrats y soient déjà signés. J’aimerais un jour chanter à Salzbourg, et en France, à Aix-en-Provence.
Le Met a eu une grande importance dans votre carrière.
Tout à fait. J’y ai suivi le programme jeunes artistes avec James Levine et depuis, ce programme a changé avec le partenariat avec Juilliard. Les personnes ont changé à ce moment-là. Je travaillais tous les jours et j’allais aux répétitions. J’y ai appris les langues, le répertoire, les styles, le théâtre. Les moyens ont aussi beaucoup diminué : quand j’y suis retournée l’an dernier, il y avait par exemple moitié moins de chefs de chant.
Cette saison, à l’exception d’une production, vous chanterez exclusivement en Europe : à quoi cela est-il dû ?
C’est dû à la demande : les théâtres américains ne m’ont rien proposé cette saison. Sans doute le Met a-t-il considéré que j’avais déjà beaucoup chanté là-bas ces dernières années. Mais j’aime beaucoup chanter en Europe. À part Bastille, les théâtres y sont plus petits, et on m’y offre de beaux rôles. Je me sens Européenne : je fais d’ailleurs les démarches pour obtenir la nationalité espagnole, pays où vivaient mes arrière-grands-parents. J’ai la chance que mon mari puisse toujours m’accompagner dans mes déplacements, son travail pouvant se faire à distance. Il m’aide beaucoup : il s’occupe de mon site, gère les photos et les vidéos, mon emploi du temps.
Quels seront les grands événements de votre saison que nous n’avons pas encore évoqués ?
Je chanterai Rodelinda de Haendel à Barcelone, une ville que j’adore. Il s’agira d’une nouvelle prise de rôle. Je chanterai également Don Pasquale à Pittsburgh, ma seule production aux États-Unis. Bien sûr, il y aura mes débuts à la Scala : je peine encore à y croire.
Qu’en est-il des saisons suivantes ?
Je rechanterai la Traviata que je n’ai plus chanté depuis cinq ans. J’aimerais chanter les Puritains, mais je n’ai pas encore trouvé l’opportunité. Il y aura un Barbier, ainsi que le Faust de Gounod. Il faut toutefois que ma voix évolue pour que je puisse le chanter. Et puis beaucoup de Rigoletto (je vais encore le chanter 100 fois !), Lucia, L’Enlèvement au Sérail.
Comment aimeriez-vous faire évoluer votre répertoire à plus long terme ?
J’aimerais chanter Gilda jusqu’à ma mort ! Mais j’aimerais aussi chanter plus Traviata. Juliette, Manon, Marguerite, ainsi que les Puritains, qui sont un peu plus lourds, mais pas trop non plus, m’intéressent beaucoup. Certains rôles mozartiens, comme la Comtesse (Les Noces de Figaro) ou Fiordiligi (Cosi fan tutte), me seront peut-être accessibles dans quelques années. Tout cela ne dépend pas de moi : j’aurais pu chanter Sophie dans Le Chevalier à la Rose, par exemple, mais personne ne me l’a proposé. À l’inverse, j’étais au bon endroit au bon moment pour obtenir ces Huguenots.
Quel est le rôle qui vous émeut le plus ?
La Traviata : quand j’ai lu le livre de La Dame aux Camélias, j’ai pleuré pendant deux mois. Je ne savais pas qu’elle y mourrait seule. La musique qui s’y ajoute est magnifique : on ne peut pas l’entendre sans être ému !
Quel est le rôle qui vous dérange le plus ?
Je n’en vois pas dans mon répertoire : je dirais le Duc dans Rigoletto. Je ne le comprends pas. Il peut être aussi bien innocent qu’horrible. Cela dépend aussi du ténor qui chante le rôle. C’est vrai aussi du rôle-titre d’ailleurs : selon les mises en scène, il peut être terrible. Cela modifie ma manière de chanter Gilda.
Quel est le rôle qui vous donne le plus de plaisir à chanter ?
La Fille du régiment est parfait pour ma voix, avec du lyrisme et du colorature : j’adore le Salut à la France !
Quel rôle ne voulez-vous plus chanter ?
Je ne peux pas le dire car je me suis engagée pour le rechanter dans le futur ! Dans ce cas, c’est le caractère du personnage que je n’aime pas.
Vous reverra-t-on en France ?
J’ai un projet à l’Opéra de Paris la saison prochaine. D’autres maisons m’ont fait des propositions. Il y aura peut-être des concerts. On m’a proposé les Contes d’Hoffmann, mais j’ai refusé. Peut-être dans le futur, selon la version, le ténor et la salle. Faire les quatre héroïnes est très lourd. Or, aujourd’hui, les théâtres veulent une chanteuse pour les quatre rôles car c’est moins cher.