La Gioconda aux Chorégies d’Orange : Barnaba
Après les personnages féminins, les chanteurs vous présentent leurs rôles, à commencer par le terrible Barnaba que Claudio Sgura nous introduit ici avec tout le contexte de l’opus : « La Gioconda est un grand défi parce qu’il représente une grande victoire pour le compositeur Ponchielli, qui s’impose avec cet opéra en 1876 comme le “Nouveau Verdi” (dans une décennie où Verdi n'a rien composé et affirmait même qu'il ne composerait plus). Ponchielli réunit tous les ingrédients verdiens : les fêtes (comme dans La Traviata et Un Ballo in maschera), les masses imposantes (Les Vêpres, Don Carlo et Aida) pour créer un véritable Grand Opéra italien.
La figure de Barnaba que j’incarne, le méchant informateur que Ponchielli décrit comme “un rôle odieux, déplaisant mais original”, anticipe Iago dans Otello de Verdi sur un livret de Boito également. Il s'impose d'emblée comme le véritable marionnettiste de toute la tragédie : dès le prélude, le “bon” thème du Rosaire se heurte au thème maléfique de Barnaba.
Le livret d'Arrigo Boito définit Barnaba de manière plus complexe et au premier plan (par rapport à la tragédie Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo dont s’inspire ce livret en remaniant beaucoup ce texte signé quatre décennies plus tôt). Mon personnage chez Victor Hugo (Homodei, espion du Conseil des Dix) quitte la scène assez tôt, ses complots étant interrompus par un duel. Mais dans l'opéra, il apparaît dès le début, il chante déjà à la fin du chœur dans la première scène du premier acte et ouvre la deuxième scène par un monologue où il se présente immédiatement dans sa vraie nature et fonction d’espion.
Son âme est même peut-être encore plus noire que celle du terrible Iago : celui-ci n’a pour objectif “que” de perdre Othello, tandis que Barnaba veut faire tomber tout le monde, de Cieca à Laura, d'Enzo à Gioconda. Dans cette progression, Boito, fortement lié au mouvement "moderniste" de la Scapigliatura (courant échevelé) et intéressé à regarder le théâtre du futur, force les traits de Barnaba, qui a abandonné le fond de piété toujours présent chez Verdi, pour apparaître dépourvu de tout principe éthique, en proie à des contrastes passionnés et prêt à déclencher des entrelacs de sentiments débridés (non seulement de pulsions sexuelles envers Gioconda, mais aussi totalement gratuites comme pour pousser La Cieca au bûcher en l’accusant de sorcellerie). En tout cela, Barnaba est donc aussi une anticipation précise : celle de Scarpia, tant dans le drame de Victorien Sardou (1887) que dans l'opéra de Puccini (1900). Mais Barnaba vivra (contrairement au Baron romain qui est victime de son propre complot). Et lorsque Gioconda se poignarde pour ne pas se soumettre au lâche accord qui les lie, Barnaba non seulement s’en réjouit, mais lui révèle encore un crime affreux commis sans raison : il a noyé sa mère aveugle. Et il le lui révèle avec l'exaltation d'un vainqueur. Prêt à continuer sans repentir ni punition.
Un aspect très important de ce travail est la nécessité d'avoir un Barnaba avec une voix adéquate, à tel point qu'il puisse surmonter les nombreuses difficultés vocales. C'est un rôle vraiment complexe, tant d'un point de vue vocal qu'interprétatif. Il faut un baryton dramatique avec une technique sûre qui lui permette de tenir sa partie jusqu'au bout sans aucun relâchement. Il doit arborer un accent percutant pour transmettre exactement le sentiment de méchanceté au public. Il faut aussi avoir une certaine aisance scénique pour attirer l'attention du public et laisser persister l'aisance de Barnaba même dans les moments en retrait.
Heureusement pour moi, j'ai eu le privilège et l'honneur de chanter avec des collègues qui donneront vie à cette merveilleuse mise en scène. Je suis vraiment heureux de revoir mon cher ami et chef d'orchestre Maestro Daniele Callegari qui, également à cette occasion, pourra me donner d'excellents conseils musicaux sur la façon d'affronter le rôle difficile de Barnaba. C'est toujours un plaisir de se retrouver pour faire de la musique. Heureux de revoir également le metteur en scène Jean-Louis Grinda, qui créera les atmosphères vénitiennes brumeuses et les lieux connexes (protagonistes de l'action scénique) avec une efficacité incontestable et une extrême clarté. »
Pour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1- Le rôle-titre
2- Enzo
3- Laura
4- La Cieca
5- Barnaba
6- Alvise Badoero
7- Zuàne
8- Isèpo
9- Les Chœurs
10- Le Ballet