La Gioconda aux Chorégies : Alvise
Après les personnages féminins, Enzo, et le terrible Barnaba, voici le non moins affreux Alvise Badoero, présenté par son interprète à Orange, Alexander Vinogradov : « De La Gioconda, je connaissais “Suicidio” chanté par les plus grandes, de La Callas à Rosa Ponselle mais je n’ai jamais vu cet opéra sur une scène, hormis lorsque je l’ai joué : un jour j’ai reçu une proposition de Jean-Louis Grinda pour participer à sa production à Palerme : il a dû aimer mon travail car il m’invite donc de nouveau cet été à Orange. J’étais très heureux d’accepter, j’ai appris la partition, je l’ai adorée. Sa mise en scène est d’un très beau classicisme avec des costumes d’époque, de superbes lumières : de quoi mettre en valeur la structure complexe de cet opus, qui est un Grand Opéra à l’italienne (avec tous ses caractères, son ballet, d’un bel canto tirant vers le vérisme avec des émotions plus réalistes).
Le poids du livret et de l'orchestre se renforcent pour raconter une histoire poignante. Mon personnage est un méchant, qui en deviendrait presque amusant même tant il est dans sa caricature : il est le chef de l'inquisition et de la torture, avec une très riche part de sadisme. En public, il sait être charmant, mais en privé, il prend plaisir à être cruel avec sa femme. Les situations sont bien sûr très différentes mais pour moi qui suis Russe, lorsque j’apprends ce que des criminels de guerre infligent en ce moment même à des êtres humains en Ukraine, je me prends à dire "oh, c'est Alvise Badoero". C’est comme un éclat déchirant mon cœur.
Dans le champ de l’opéra, Alvise ressemble par certains côtés vocaux à Filipo II (du Don Carlo de Verdi) mais celui-ci a aussi sa part de victime, ce qui le rend très différent. Alvise ressemble donc davantage aux figures de Méphisto. Vocalement, les paroles, les mots jouent un rôle essentiel pour tenir ce personnage, or la musique y aide beaucoup car elle est très illustrative : on peut changer aisément de caractère en surfant comme sur la vague (sonore). J'ai une magnifique aria en duo avec ma femme Laura Adorno (qui sera incarnée par Clémentine Margaine), vocalement très déployée et intensément théâtrale. J'en attends beaucoup, c'est vraiment l'un de ces passages où il faut venir très préparé pour s'adapter entièrement aux échanges, au feeling mutuel entre artistes, avec le public et le lieu.
L'écriture vocale du rôle est toutefois un peu particulière pour l'époque. Le poids de la voix est concentré dans le milieu de la tessiture, ce qui peut compliquer les montées mais c'est mon travail de résoudre cela. Quant au fait de chanter en plein air aux Chorégies, je m’appuierai avant tout sur ce que je sais faire techniquement. De tout de manière, en tant que chanteur nous avons la particularité d'avoir nos oreilles derrière notre instrument (notre bouche) qui émet le son sans nous permettre d'en entendre le résultat. Il faut donc apprendre à chanter d'après ses sensations, parfois en s'appuyant sur un retour et certaines réverbérations acoustiques en salle, mais en plein air il faut (et il n'y a qu'à) se concentrer sur le contrôle et la projection. »
Pour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1- Le rôle-titre
2- Enzo
3- Laura
4- La Cieca
5- Barnaba
6- Alvise Badoero
7- Zuàne
8- Isèpo
9- Les Chœurs
10- Le Ballet