La Gioconda aux Chorégies d’Orange : Enzo
« Dans la Venise du XVIIe siècle, La Gioconda est amoureuse d'Enzo Grimaldo, un prince génois mis hors la loi par Venise, raconte Stefano La Colla. Il se fait passer pour un marin de Dalmatie pour pouvoir rentrer à Venise. Il aimait et aime encore une femme qui l'aime en retour mais qui a été promise en mariage à une autre : Laura, épouse d'Alvise Badoero l'inquisiteur.
Lors d'une fête qui vire à la condamnation à mort pour La Cieca, la mère de Gioconda, Enzo entend la voix de Laura et, bien que masqué, la reconnaît.
Gioconda se refuse à Barnaba (informateur du Conseil des Dix) et pour se venger de ce rejet, il aide Enzo à rencontrer Laura. Enzo a une affection fraternelle pour Gioconda alors qu'elle aime. En colère, elle tente d'abord tenter de séparer les deux amants, puis cède à des sentiments plus nobles, l'aidant à survivre au poison que son mari Alvise lui inflige, et les aidant tous deux à faire face aux machinations de Barnaba, jusqu'à se sacrifier pour eux.
Enzo Grimaldo, a la fonction d'un catalyseur, d'un déclencheur. C'est le casus belli par lequel l'aspect dramaturgique peut s'exprimer. C'est avec son arrivée que l'intrigue peut se dérouler : envie, amour, jalousie, pouvoir, sacrifice, meurtre, mort.
C'est un personnage volontaire et décisif, un commandant, mais aussi un prince, un amant qui fera tout pour récupérer sa bien-aimée.
Le rôle d'Enzo demande une grande puissance vocale, tant pour les caractéristiques psychologiques du personnage, du point de vue dramaturgique, que face à cette grande orchestration. Il y a des pages qui demandent pourtant de la délicatesse pour esquisser son côté romanesque et sensible dans sa relation intime avec Laura, comme dans le duo du deuxième acte entre Enzo et Laura, ou dans le final du Terzetto entre Enzo, Laura et Gioconda. .
La difficulté de ce rôle réside justement dans la conciliation d'une voix généreuse tout au long de l'élaboration de l'œuvre, ponctuée de moments intimes raffinés et d'une grande sensibilité.
L'entrée d'Enzo est sans aucun doute héroïque. Elle doit être perçue comme une interruption soudaine de la scène qui se déroule, à savoir celle de l'exécution de l'Aveugle. La deuxième intervention est le duo avec Barnaba qui, en plus de son rôle descriptif dans l'explication de l'intrigue, contient des pages d'une grande expressivité musicale depuis le moderato retenu "O grido di quest' anima" jusqu'à la fin de la scène, dans laquelle Enzo exprime une irrépressible joie d'avoir retrouvé sa Laura.
Vient ensuite l'air "Cielo e mar". Ici Enzo exprime son excitation et sa passion à l'idée de revoir Laura. S'ensuit un très beau duo qui débute par un Allegro modéré puis se développe en un Andante modéré le tout à voix basse et grave. Le duo suivant avec Gioconda est complètement différent, plus excité et mordant. Le concertato final du troisième acte est magnifique, avec des pages où Enzo s'avance comme s'il voulait chanter une romance d'adieu à sa bien-aimée, puis se replonge dans les harmonies créées par toutes les parties solistes, l'orchestre et le chœur. »
Après avoir évoqué le rôle-titre hier, le chef Daniele Callegari nous parle également du personnage d'Enzo (et de cet interprète), le tout dans le rapport capital et intime du chef avec cette partition qu’il connaît comme sa poche, et pour cause : « Cet opéra reste attaché aux débuts de ma carrière et à des rendez-vous marquants. J'ai dirigé pour la première fois La Gioconda en 1996 à Crémone dans la ville de Ponchielli (avec un casting extraordinaire déjà). Elle est entrée dans les pores de ma peau, dans mon cœur. Et j'ai eu la chance de continuer à diriger La Gioconda dans des lieux importants : au Liceu de Barcelone, pour mes débuts au Met, et donc cet été à Orange. La dernière fois que je l'ai dirigée, c'était en Italie, à Piacenza, moment important capté par la télévision italienne et marquant les débuts de Saioa Hernández et Francesco Meli.
En entendant La Gioconda, vous pouvez avoir l'impression que c'est un opéra magnifique et saisissant, ou terrifiant : comme la ville de Venise, sublime mais difficile, belle mais insaisissable. Gioconda m'est familière comme la Sérénissime : j'habite à Venise à deux minutes à pied de la Ca d'Oro (palais doré du Grand Canal), donc quand le chœur chante "alla Ca' d'Oro", il parle de mon quartier, de ma maison ! C'est donc pour moi facile de comprendre le chemin. L’opéra part de la Place Saint-Marc (au XVIIème siècle) et parcourt la ville en alternant moments de drame et de fêtes.
Les rencontres de ces différentes situations doivent être abordées dans le juste équilibre, la direction musicale doit rendre cette richesse, mais les moments les plus délicats à mettre en évidence sont ceux des récitatifs : c'est là qu'il faut conserver toute la vivacité de la musique (les arias sont magnifiques et marchent toutes seules).
Cette richesse témoigne du fait que La Gioconda est la première occurrence dans l'art italien d'une œuvre à ce point liée par le style au Grand Opéra français. C’est pourquoi je suis d’autant plus fier et heureux de le diriger avec l’Orchestre Philharmonique de Nice dont je suis désormais Chef Principal.
Cet opéra est aussi marqué par la rencontre de personnages époustouflants, qui exigent de grandes qualités vocales. Tout comme pour La Gioconda [à retrouver dans notre épisode inaugural], celui qu’elle aime mais qui aime Laura, Enzo Grimaldi (qui sera incarné à Orange par Stefano La Colla), le noble exilé de Venise et qui revient déguisé, doit avoir une très belle voix capable de produire et tenir des sons filato dans son fameux air “Cielo e mar!” (le ténor spinto y appelle son ange amoureux, qu’il vienne du ciel ou de la mer, là où il emporte sa voix amoureuse).
Je connais très bien Stefano La Colla. Nous avons fait à Strasbourg une très belle production de Cav/Pag dans la mise en scène de Kristian Frédric et c'était un grand succès. Nous avons aussi fait Butterfly, et récemment Aida. Je suis ravi qu'un tel chanteur soit engagé pour Gioconda qu'il connait, qu'il a chanté à Bruxelles, qu'il chantait encore avant-hier à La Scala. Le fait qu'il connaisse le rôle, qu'il l'ait interprété sur de grandes scènes et qu'il dispose d'une voix généreuse, avec une grande puissance, directe et franche sera très utile pour le plein air à Orange.
Ce personnage d'Enzo Grimaldi est un caractère romantique, partagé entre noblesse et exil, par l'amour aussi (entre deux femmes qui l'aiment, même si lui n'aime pas Gioconda mais Laura). Il doit donc chanter à la fois les sentiments amoureux dans la tradition bel canto, mais aussi le caractère héroïque avec l'autorité du capitaine de marine. Il est important de mettre en évidence la personnalité vigoureuse, le caractère affirmé de ce personnage et la rondeur plus tranquille de la voix et surtout dans le duo amoureux avec Laura (qui rappelle aussi le duo amoureux du Mefistofele de Boito).
L'esprit est à la fois sombre et tendre, affirmant une qualité douce pour mettre en évidence le caractère romantique. Et le concertato (animé) final du troisième acte demande aux solistes de vraiment chanter a voce spiegata (déployée), d'où le besoin de puissance vocale, dont disposent Saioa Hernández, Stefano La Colla (pour rappeler qu'Enzo Grimaldi est un personnage caractérisé, lui aussi de premier plan), avec autorité aussi pour l'espion antagoniste Barnaba » [qui sera chanté à Orange par Claudio Sgura et présenté dans un prochain épisode].
Pour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1- Le rôle-titre
2- Enzo
3- Laura
4- La Cieca
5- Barnaba
6- Alvise Badoero
7- Zuàne
8- Isèpo
9- Les Chœurs
10- Le Ballet