Synopsis
Capriccio
Paris, aux alentours de 1775. Le poète Olivier et le compositeur Flamand s'affrontent pour établir la primauté de leur art sur celui de l'autre dans la création d'un opéra, ainsi que dans l'obtention des faveurs de la Comtesse.
Met Live Tosca
Création de l'opéra
De par sa date et son contenu, Capriccio constitue le testament artistique de Richard Strauss (1864-1949) dans le genre lyrique. Dernier opus du compositeur, créé sous le régime nazi, cette œuvre met en scène l’éternel débat autour de la suprématie du texte ou de la musique dans une œuvre opératique. L’idée de bâtir une œuvre autour de cette querelle esthétique revient à l’écrivain autrichien juif Stefan Sweig (1881-1942). En 1934, alors qu’il écrit le livret de La femme silencieuse (Die scheigsame Frau, 1935), Sweig découvre le livret écrit par Giovanni Battista Casti intitulé Prima la musica et poi la parole (1736, et mis en musique par Salieri en 1786) qui discute de l’hégémonie de la musique sur le texte à l’opéra. Inspiré, il fait part à Strauss de son idée d’écrire une œuvre traitant d’une réflexion théorique sur cette épineuse question. Séduit le compositeur accepte.
Cependant, un scandale entoure la création de leur opéra La femme silencieuse : avant la création, la censure nazie fait en effet retirer le nom de Sweig des affiches, à cause de ses origines juives. Mais Strauss intervient pour que celui-ci soit rétabli. Par ailleurs, les persécutions contre les artistes juifs, qui avaient commencé par les autodafés en 1933 des œuvres d’auteur juif comme Sweig, augmentent. Ce climat pousse l’écrivain autrichien à mettre fin à toute collaboration ouverte avec le compositeur et lui cède volontiers ses idées d’opéra, notamment celle à l’origine de Capriccio. Conscient du talent de l’auteur et voyant en lui le parfait remplaçant d'Hofmannsthal, Strauss refuse la rupture. Mais en 1939, la guerre éclate et avec elle s’ouvre une période de troubles et d’incertitudes artistiques. Pour Strauss, tout espoir de voir le régime nazi prendre fin rapidement s’effondre et il semble évident qu’il ne pourra plus collaborer avec Sweig. Suivant les conseils de ce dernier, il se résout alors à confier l’écriture du livret à Joseph Gregor qui, en contact avec l’écrivain en exil, élabore plusieurs versions successives. Mais aucune d’entre elles ne satisfait le compositeur.
Il décide alors de faire appel à son ami chef d’orchestre et directeur général de l'Opéra d’État de Bavière à Munich, Clemens Krauss (1893-1954), pour aider Gregor dans sa tâche. Rapidement Krauss évince Gregor (avec l’accord de Strauss) et rédige le livret lui-même, après avoir fait, dans un souci de vérité historique, des recherches complémentaires. Krauss fait par ailleurs appel au chef d’orchestre Hans Swarosky, alors en disgrâce auprès du régime nazi, pour la traduction en allemand du poème de Ronsard, des scènes récitées de Clairon et du choix du duo italien d’après Métastase.
Strauss remanie la dernière version du livret et commence à en composer la musique dès juillet 1940. Il termine la partition pour piano en février 1941 et enchaîne sur l’orchestration. Les répétitions pour sa création commencent le 30 juin 1942, mais Krauss doit faire face à de nombreux problèmes qui retarde le travail : matériels d’abord, à cause du rationnement (il manque de colle, de bois, de métaux pour les décors, de tissus pour les costumes alors que le matériel d’orchestre peine à arriver), mais aussi artistiques du fait d’une pénurie de chanteurs, ceux-ci devant en plus être également de bons comédiens.
La création au Bayerische Staatsoper de Munich, prévue initialement en août 1942, est repoussée au 24 octobre 1942. Bien que cet opéra ait été créé sous le patronage du Reichminister Dr Joseph Goebbels, aucun haut dignitaire nazi n’était présent. Quant à l’œuvre elle-même, elle n’eut pas un grand succès, probablement à cause du contexte historique non favorable, du ton conversationnel qui semble mettre en valeur le texte plus que la musique ainsi que son sujet considéré comme trop abstrait. Les bombardements alliés sur les principales villes du Reich provoquant la destruction des théâtres germaniques les plus célèbres (Munich est bombardée le 2 octobre 1943, Vienne le 12 mars 1945 et Dresde le 13 février 1945) conjuguée au durcissement de la censure nazie entraînent la fin du règne de Strauss, qui se retire des scènes lyriques.
Depuis Le Chevalier à la Rose, la musique de Richard Strauss s’inscrit dans une volonté de fusion entre le passé et le présent. La particularité de sa démarche « néoclassique » dans Capriccio a été d’ancrer historiquement son histoire à l’aide de recherches scientifiques poussées sur la littérature et le théâtre français de la fin du XVIIIe siècle. À ses citations musicales habituelles, Strauss ajoute des citations littéraires dont il supprime les références afin d’éviter tout alourdissement du texte. Il réutilise par exemple un poème de Ronsard qu’il fait passer pour une création de son poète Olivier. Cette profession de foi de Strauss consistant à renouveler le présent avec le passé constitue la réponse du compositeur aux défenseurs de la modernité. Cela se manifeste par sa volonté de démontrer d’une part que le passé peut être une source d’inspiration (et par là même d’affirmer que l’abandon de la tonalité n’est pas la seule solution de renouvellement du langage) et d’autre part qu’il n’y pas nécessité de divorce entre les mots et la musique.
En mettant en scène une discussion théorique sur la primauté du texte ou de la musique dans une œuvre lyrique, Strauss déplore le déclin du « bon théâtre » à la faveur du théâtre « de mauvaise qualité », celui des opérettes et des revues. Ainsi, comme Wagner dans les Maîtres chanteurs de Nuremberg, Strauss vise ses contemporains, bien qu’il situe l’action de son opéra à Paris aux alentours de 1775, au moment de la querelle entre les piccinnistes et les gluckistes, où les premiers défendaient la primauté du texte sur la musique et les seconds l’inverse.
L’utilisation d’une mise en abyme à travers le théâtre et le chant n’est pas une nouveauté pour Strauss puisqu’il avait déjà utilisé ce procédé dans le prologue d'Ariane à Naxos. Strauss poursuit ainsi sa réflexion artistique en abordant un problème esthétique (primauté de la parole ou de la musique) après un problème dramatique (primauté de l'opera seria sur l’opéra comique).
Le différent esthétique fondamental discuté dans Capriccio, qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la musique, s’articule autour de l’élucidation de la question qui de tout temps a préoccupé (voire opposé) les librettistes et les compositeurs d’opéra : quel est le plus important, la musique ou le texte ? Dans le but d’élucider cette question, l’opéra aborde les problèmes de l’art lyrique les uns après les autres : l’opposition effective ou non entre le mot et le son, le rapport entre le texte et la musique, les différences et points communs entre le discours et la mélodie, la notion de « spectacle », le rôle des imprésarios et des directeurs de théâtre, les goûts et les attentes du public, etc.
Pour parer au principal danger d’un sujet traitant uniquement d’enjeux théoriques, à savoir d’écrire des personnages désincarnés uniquement porteur de paroles et d’idées et n’ayant aucun déploiement dramatique propre, Strauss et Krauss ont intégré une intrigue amoureuse où le poète (Olivier) et le compositeur (Flamand), en plus d’être des rivaux artistiques deviennent des rivaux amoureux auprès de la Comtesse. En ce sens, l’histoire de Capriccio peut être rapprochée de celle des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner où Beckmesser et Walther s’opposent artistiquement et cherchent à obtenir les faveurs d’Éva.