Tableaux d’une jeunesse musicale au Festival Radio France Occitanie Montpellier
C’est peu dire que la succession prestigieuse de Michel Plasson et de Tugan Sokhiev à la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se trouve pleinement assurée avec l’entrée en fonction du jeune chef de 24 ans Tarmo Peltokoski à compter de septembre prochain. Ce dernier cumulera d’ailleurs, à compter de septembre 2026, cette direction avec celle de l’Orchestre Philharmonique de Hong Kong où il succèdera à Jaap van Zweden. Tarmo Peltokoski rejoint ainsi en France deux autres baguettes finlandaises issues de la même formation dispensée par l’illustre maître de l’Académie Sibelius d’Helsinki, Jorma Panula, soit Mikko Franck qui dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France et Klaus Mäkelä qui a pris en charge l’Orchestre de Paris.
Le programme du concert de Montpellier affiche trois compositeurs aux atmosphères bien éloignées, Richard Wagner, Richard Strauss et Modeste Moussorgski, ce dernier pour les Tableaux d’une exposition dans l’orchestration de Maurice Ravel. Bien ancré sur son estrade, le geste large et souple, Tarmo Peltokoski aborde l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner sans l’ombre d’une hésitation, mordant à pleines dents dans cette musique impérieuse, sans jamais toutefois et pour autant vouloir l’écraser sous une trop pesante tradition allemande, ni grossir inutilement le trait. Sa direction installe évidemment le puissant motif des Maîtres Chanteurs de Nuremberg avec leurs traditions et leurs certitudes. Mais tout paraît sous sa baguette chatoyant, allant, d’un lyrisme non affecté qui accompagne un ouvrage lyrique certes tentaculaire, mais qui se termine sur une histoire d’amour heureuse. La direction musicale du chef laisse transparaître toutes ces particularités, éblouissante à plus d’un titre et où chaque musicien de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse donne son maximum. Il n’est pas un pupitre qui soit inférieur à un autre (ce qui a créé la réputation particulièrement fondée de cette phalange depuis tant d’années).
Avec la scène finale de Capriccio, opéra tardif de Richard Strauss, l’auditeur entre dans un cercle beaucoup plus intime. Le cœur de la belle Comtesse Madeleine balance entre deux prétendants, le premier Olivier privilégie la poésie et le texte, le second Flamand la musique en tant que compositeur. « Prima la musica - dopo le parole ! » ou vice-versa. Bien au-delà de cette perpétuelle interrogation, c’est tout l’avenir sentimental et sociétal de Madeleine qui se joue ici. La musique enveloppante de Strauss, reconnaissable entre toutes, sorte de conversation en musique, baigne cette scène finale bouleversante, mais aussi charmante et brillante à interpréter pour la cantatrice. Elsa Dreisig abordera d'ailleurs le rôle de la Comtesse Madeleine de Capriccio pour la première fois à la scène fin juillet prochain au Festival de Salzbourg sous la baguette de Christian Thielemann. Elle offre au public de Montpellier une prestation de haute qualité d’une voix de soprano capiteuse et franche certes, rejetant tout maniérisme, un peu plus élargie désormais, mais dont les couleurs pourraient être plus exploitées, plus diversifiées. La dernière partie de l’air, la plus méditative, la trouve plus sincèrement imprégnée du personnage, plus convaincue et d’une sensibilité assumée. Les cuivres de l’orchestre, le cor solo en particulier, sonnent de façon splendide et harmonieuse, Tarmo Peltokoski déployant pour sa part un tapis d’une rare et précieuse harmonie sous la voix d’Elsa Dreisig.
Mais c’est l’interprétation tout feu, tout flamme des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski dans la géniale orchestration de Maurice Ravel qui aura plus encore su transporter le public, Tarmo Peltokoski leur donnant vie avec ardeur et une rare puissance d’évocation, et par-dessus tout une vision d’ensemble faisant frémir, trembler, s’amuser même avec le "Ballet des poussins dans leurs coques" ou "La Cabane sur des pattes de poule" qui ouvre le chemin au grandiose finale, La Grande Porte de Kiev qui semble comme illuminer toute la salle par sa démesure et l’exubérance calculée de son orchestration.
Le public, largement bousculé, mais certainement non anéanti, réserve aux interprètes un triomphe absolu et des saluts interminables.