En Bref
Création de l'opéra
L'opéra italien en Angleterre
Haendel compose 42 opéras, entre 1705 et 1741. Ses quatre premiers opéras sont composés en Allemagne, pour Hambourg. Les textes sont en allemand, mais traduits depuis l'italien et certaines arias sont en italien. Dès son cinquième opéra Rodrigo (1707) et son sixième Agrippina (1710), Haendel compose pour l'Italie (Florence puis Venise), mais avec aussi peu de succès. Il décide donc de partir pour Londres dès 1711 et il y produit l'intégralité de ses 36 autres opéras, devenant une référence dans son art et suscitant une passion pour l'opéra italien outre-Manche. Il compose alors Rinaldo, le premier opéra en italien spécifiquement destiné aux scènes anglaises. Il rencontre le succès, toutefois, des problèmes de langues se posent dès cet opus, écrit d'après la Jérusalem délivrée du Tasse en italien, traduite en anglais puis retraduite en italien par Giacomo Rossi.
Haendel ne compose donc pas d'opéra en anglais, une langue qu'il réserve pour ses oratorios (notamment le célèbre Messie). Pourtant, Haendel était venu en Angleterre pour devenir une référence de l'opéra anglais après Purcell, statut qu'il obtiendra. Durant l'hiver 1718-1719, un décret royal vient même couronner la société fondée par Haendel et des nobles britanniques en vue de défendre l'opéra italien, société désormais nommée Académie Royale de Musique. L'entreprise fleurit (la moitié de ses opéras étant composés par Haendel), jusqu'en 1728, date de création du Beggar's Opera (L'Opéra du gueux, écrit par John Gay sur une musique de Johann Christoph Pepusch), un opéra comique avec des ballades anglaises qui concurrence l'opéra sérieux italien. Haendel ne se décourage pas et fonde une nouvelle Académie en 1729, assumant également des fonctions de producteur. La nouvelle Académie rencontre des succès et des échecs, combattant notamment avec la compagnie concurrente "Opéra de la Noblesse" pour recruter les meilleurs interprètes (Farinelli est ainsi embauché par l'Opéra de la Noblesse). La compétition est rude et le genre perd en popularité, au point que les compagnies ferment en 1737, deux ans après Alcina.
C'est lors de ses voyages en Italie que Haendel acquiert le livret de L'isola di Alcina, opéra composé par Riccardo Broschi à Rome en 1728. Haendel crée Alcina le 16 avril 1735 pour sa première saison au Théâtre Royal Covent Garden de Londres. Alcina est donc un moment historique de l'opéra en Angleterre : le troisième opéra créé dans son iconique Covent Garden, Royal Opera House (après Il pastor fido en 1734 et Ariodante en 1735). L'opéra est joué 18 fois : succès modéré, marque d'un genre en déclin, même si l'aria "Verdi prati" est bissée à chaque représentation. Alcina est certes donnée 5 fois au même Covent Garden la saison suivante (1736-1737), il est certes repris à Brunswick en 1738, mais il disparaît ensuite, avant d'être ressuscité à Leipzig en 1928 et de retrouver le succès en 1958 à Londres, avec Joan Sutherland dans le rôle-titre.
Clés d'écoute de l'opéra
Orlando furioso
Poème épique écrit entre 1505 et 1532 par Ludovico Ariosto (dit l'Arioste), Orlando furioso (Roland furieux) conte la guerre de Charlemagne contre les Sarrasins. L'un des épisodes est dédié à Ruggiero, amant de la guerrière Bradamante, mais ensorcelé par la magicienne Alcina. Orlando furioso inspire également Orlando (1733) et Ariodante (1735) à Haendel.
Alcina s'inspire également du mythe de Circe dans L'Odyssée d'Homère, cette magicienne (ou sorcière ou enchanteresse), qui vit dans un palais isolé dans une clairière, enivrant les hommes et les transformant en porcs d'un coup de baguette.
Opéra magique
Alcina est le dernier opéra de Haendel sur le thème de la magie. Les figures aux pouvoirs magiques sont très présentes dans les opéras, notamment les opéras baroques, dont ils forment presque un sous-genre. Haendel y recourt notamment avec les figures d'Armida dans Rinaldo (1711), Médée dans Teseo (1713), Melissa dans Amadigi di Gaula (1715).
Les magiciennes, sorcières, enchanteresses et leurs comparses masculins offrent au drame des caractères puissants, permettent des rebondissements éblouissants dans les intrigues, des mouvements de décors et de grands effets musicaux.
Alcina correspond aux canons de l'opéra magique, avec son royaume enchanté, les pouvoirs surnaturels, les métamorphoses (le livret de Haendel stipule ainsi dans la première scène de l'Acte II : "Avec tonnerre et éclair, la montagne tremble, révélant le palais enchanté d'Alcina"). Covent Garden était réputé pour ses machines scéniques innovantes, attirant le public.
Mais Alcina est aussi un opéra désenchanté. L'intrigue tourne autour de Ruggiero qui se défait de l'emprise, de l'enchantement d'Alcina. Ce désenchantement touche aussi Alcina : perdant ses pouvoirs magiques, elle perd aussi son emprise amoureuse. Le dernier opéra "magique" de Haendel traite de la disparition de la magie, du désenchantement qui est aussi celui de Haendel : le compositeur fait ses adieux à la magie et sent qu'approche la fin de l'opéra seria italien.
Opera seria
Haendel rencontre le succès dans un genre qu'il s'approprie et par lequel il influence des générations de compositeurs : l'opera seria. Cette tradition italienne s'oppose, par son caractère et ses sujets nobles et sérieux, à l'opera buffa, dont le comique est hérité de la commedia dell'arte. L'opéra seria qui triomphe en Europe au XVIIIe siècle déploie une dramaturgie en musique autour des arias da capo : le thème principal est répété (retour au da capo, à la tête de la mélodie) et richement orné. Les transitions entre ces arias (qui expriment les passions) sont assurées par des récitatifs (qui permettent de faire avancer l'histoire).
Aria/récitatif
Après les deux brèves interventions des héros d'Alcina, c'est ici la magicienne Morgana qui apporte immédiatement le chant, un arioso (entre le récitatif précédent et les grands airs d'opéra), car elle apporte la sensualité et l'émotion. La dialectique entre le récitatif qui raconte l'histoire et l'aria qui déploie les émotions est à la base du genre "opéra". Cette distinction devient omniprésente dès le milieu du XVIIe siècle (siècle de naissance de l'opéra). Cette construction aria/récitatif reste toujours fondamentale à l'opéra, malgré la volonté de Gluck de composer un drame cohérent, ou bien le principe de Wagner du durchkomponiert (littéralement composé à travers, sans interruption entre des numéros).
Dans le feu de l'action
L'ouverture a toute la noblesse d'un drame lyrique, mais avec un tempo allègre, qui avance en rythmes pointés et imitation (les voix s'imitent les unes les autres, entrant successivement et ajoutant au mouvement). La musique avance et raconte l'histoire : elle est allante et tourbillonnante, emportant d'emblée le spectateur dans une intrigue qui a déjà commencé, dans un danger et un besoin de fuite déjà présent. Après l'ouverture d'Alcina, les voix entrent sur les récitatifs (texte récité sur le continuo, c'est-à-dire les quelques instruments qui ponctuent la déclamation avec de brefs accords) en dialogue entre Bradamante et Melisso, qui racontent ainsi l'histoire au public, tout en échangeant leurs inquiétudes. Cette entrée en matière nommée "in medias res" est typique des tragédies, musicales ou antiques : l'œuvre commence dans le feu de l'action, les personnages sont présentés dans une situation haletante, ce que la musique renforce.