Biographie
Herbert von Karajan
Le chef d’orchestre Herbert von Karajan est né à Salzbourg le 5 avril 1908. Il est un jeune prodige du piano, qu’il apprend dès l’âge de quatre ans. Il étudie ensuite la théorie musicale et la composition au Mozarteum de Salzbourg de 1916 à 1926. Il continue ses études à l’Académie de Vienne, où il commence à apprendre la direction d’orchestre, apprentissage complété par sa découverte en concert de chefs aussi illustres que Toscanini, Strauss ou Furtwängler. Afin de lancer sa propre carrière, il organise avec les ressources familiales une performance de Salomé de Richard Strauss dans le Mozarteum de Salzbourg en 1929. Il est alors repéré par le Directeur artistique du Théâtre d’État d’Ulm en Allemagne, qui lui propose d’y devenir chef d’orchestre principal, titre qu’il tient jusqu’à 1934. La même année, il dirige pour la première fois le Philharmonique de Vienne. En 1934 toujours, il passe à la tête de l’orchestre du Théâtre d’Aix-la-Chapelle en Allemagne.
C’est à cette époque que la carrière de Karajan décolle, surtout à partir de 1938, qui voit sa première apparition à la tête du Philharmonique de Berlin à l’Opéra d’Etat de Berlin, suivie peu après par une performance mémorable de Tristan et Isolde de Wagner, au point que les critiques d’alors parlent du « miracle Karajan », le posant d’emblée comme un rival de Furtwängler. La même année, il réalise son premier enregistrement pour Deutsche Grammophon, une ouverture de La Flûte enchantée avec le Philharmonique de Berlin. Peu de temps après, le directeur du Théâtre d’Aix-les-Bains refuse de renouveler son contrat en 1941, pressentant qu’il peut prétendre d’ores et déjà aux plus grandes scènes. La coïncidence de l’ascension du jeune Karajan en Allemagne avec la période nazie sera très nuisible par la suite à l’image du maestro, certains l’accusant d’avoir exploité la situation politique de l’époque pour accélérer sa conquête de gloire. Il semblerait cependant que son mariage en 1942 avec Anita Sauest, dont l’un des grands-pères était juif, ait provoqué la défaveur du régime nazi à son égard. Karajan et Anita fuient d’ailleurs Berlin pour Milan quelques mois avant la fin du conflit.
Malgré son acquittement par le tribunal de dénazification autrichien en 1946, l’occupant soviétique interdit Karajan de concert en raison de sa proximité avec le pouvoir nazi, interdiction maintenue pendant une année. C’est l’impresario Walter Legge, l’époux d’Elisabeth Schwartzkopf, qui joue un rôle-clé pour faire sortir Karajan de cette position de défaveur. Celui-ci vient de fonder le Philharmonia de Londres, et quoiqu’à cette époque, l’ensemble n’ait officiellement pas de chef attitré, c’est Karajan qui lui fait atteindre une stature de premier plan. Parmi les enregistrements les plus admirables réalisés avec le Philharmonia dans l’après-guerre figurent Falstaff, Le Chevalier à la rose, Cosi fan tutte (les trois avec Elisabeth Schwartzkopf) et l’ensemble des symphonies de Beethoven. Il est également très présent à l’Opéra d’Etat de Vienne, à Bayreuth, où il dirige un Ring en 1951, et à la Scala, où il dirige notamment un mémorable Trouvère en 1954 avec Maria Callas et Giuseppe di Stefano. Les années 50, qui voient la généralisation du 33 tours et du son stéréo, sont une période cruciale pour Karajan, dont les directions reçoivent un écho bien plus grand que celui de ses illustres prédécesseurs, puisque plus seulement limité aux salles de concert.
Sa période Philharmonia prend fin quand il est nommé Directeur du Philharmonique de Berlin en 1955, après la mort de Furtwängler (c’est Otto Klemperer qui lui succède au Philharmonia). L’année suivante, il devient également Directeur artistique du Festival de Salzbourg, puis en 1957, il prend également la direction de l’Opéra d’État de Vienne. Les trois pôles majeurs de son activité restent Berlin, Vienne et Salzbourg. Nombreuses sont donc les carrières lancées par Karajan, notamment celle de Leontyne Price, avec laquelle il enregistre une extraordinaire Tosca en compagnie du Philharmonique de Vienne en 1962. C’est d’ailleurs à travers le disque que Karajan étend sa renommée bien au-delà de la sphère habituelle du monde classique. Il demeure à ce jour l’artiste de musique classique le plus vendu. Karajan a d’ailleurs pour habitude d’enregistrer tout son travail, et ce avant même le concert.
Karajan faisant l’objet d’un culte de la personnalité, ses méthodes de travail sont abondamment documentées, en particulier par Henri-Georges Clouzot. Toutes les images d’archives montrent comment se forme ce qu’on a appelé le « son Karajan », surtout à partir des années 60. Celui-ci découle de son perfectionnisme, qui lui fait souvent réenregistrer les mêmes pièces des années durant avant de les juger dignes d’être délivrées au public. Cela lui a même valu des détracteurs, d’aucuns jugeant son approche trop lissée. Ce soin constant porté à la beauté du son, garantie par des legato langoureux, va de pair avec le fait que Karajan ne cherche pas à détacher de sonorités spécifiques à chaque compositeur. Là encore, la postérité a pu lui reprocher de donner le même son à des compositeurs baroques comme Pachelbel ou Albinoni et à des classiques comme Haydn et Mozart qu’à des romantiques comme Mahler ou Bruckner, surtout une fois que le retour aux instruments d’époque était devenu une norme. Dans la sphère de l’opéra, on a pu décrier son tropisme pour les voix lyriques, au détriment des voix dramatiques avec plus d’attaque. Toutefois, si une remise en question du titan était inévitable, rares sont les maestros à avoir atteint une telle perfection sonore et une telle maîtrise dans un répertoire aussi vaste.
Sa carrière n’est cependant pas exempte de heurts. Ainsi, suite à des querelles internes, il quitte la direction de l’Opéra d’Etat de Vienne en 1964. Quelques années après, il crée le Festival de Salzbourg de Pâques, entité distincte du Festival d’été, dont l’Orchestre résident est le Philharmonique de Berlin, comme pour marquer sa préférence sur celui de Vienne. La plus grande controverse orchestrale arrivera vers la fin de sa carrière, quand l’Orchestre de Berlin refuse d’embaucher la clarinettiste Sabine Meyer au terme de sa période d’essai en 1983, décision que Karajan juge teintée de sexisme, ce qui entraîne un conflit entre Karajan et son orchestre. Il se raccommodera cependant avec les deux orchestres. La fin de sa carrière est marquée par son soutien à des artistes comme la violoniste Anne-Sophie Mutter ou la soprano Jessye Norman, avec laquelle il réalise un enregistrement hors pair d’extraits de Wagner, dont le Liebestod (Chant d'amour et de mort) d’Isolde, avec le Philharmonique de Vienne en 1987. Il meurt le 16 juillet 1989 dans sa résidence d’Anif, à proximité de Salzbourg, alors qu’il est sur le point de diriger Un Bal Masqué de Verdi pour le Festival d’été, quelques mois après sa dernière direction dans la Septième Symphonie de Bruckner.