La Calisto de Cavalli à Strasbourg : de la magie dans la fosse
C’est l’année Cavalli ! Après son Eliogabalo à Garnier et son Giasone à Genève, et avant son Erismena à Aix-en-Provence (à réserver ici), le disciple de Monteverdi voit sa Calisto jouée par l’Opéra national du Rhin, qui profitait de l’occasion pour dévoiler sa saison 2017-2018 (à découvrir ici). Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas Leonardo Garcia Alarcon qui dirige l’œuvre, mais un autre spécialiste du répertoire baroque, Christophe Rousset, à la tête de son ensemble Les Talens Lyriques réuni pour l’occasion en petit effectif (dont plus de la moitié est investi dans le continuo), et qu’il dirige depuis son clavecin, assurant un parfait équilibre entre la fosse et la scène. Il démontre par ailleurs sa science baroque en travaillant les dissonances avec goût. Ses choix musicaux sont tranchés, privilégiant des tempi langoureux afin d’explorer la profondeur spirituelle des personnages et d’éviter les caricatures comiques souvent provoquées par l’utilisation de tempi plus allants. L’intrigue reposant sur un travestissement de Jupiter, qui prend l’apparence de sa fille Diane pour séduire la jeune Calisto, deux choix s’offraient à lui pour distribuer le rôle du dieu déguisé : le faire chanter par l’interprète de Jupiter, une basse chantant alors en voix de fausset (ce qui était le cas lors des dernières reprises de l’œuvre), ou bien par celle de Diane (ce qu’il pense correspondre à la configuration choisie par Cavalli). C’est ce second choix qu’a fait le maestro, ce qui présente le double avantage de favoriser le beau chant et de crédibiliser l’action d’un point de vue théâtral.
La Calisto par Mariame Clément (© Klara Beck)
Ce choix est assumé par Mariame Clément (dont vous pouvez lire l’interview ici), qui signe la mise en scène et tire de cette décision de vrais atouts théâtraux. La scénographie imaginée par Julia Hansen représente la fosse aux ours d’un parc zoologique, anticipant ainsi sur le destin de Calisto, à qui Junon donnera cette forme animale après avoir été trompée par Jupiter. Cet espace unique et sinistre dévoile sa magie au fil de l’opéra, se renouvelant et emmenant le spectateur dans un monde onirique loin de son aspect terre-à-terre initial. Le bloc cylindrique central, tournant sur lui-même, laisse apparaître au fil de ses rotations de nouveaux décors, comme le salon de Junon ou le cabinet médical dans lequel l’ours (que l’on imagine être la Calisto) est euthanasié : ayant obtenu l’immortalité de Jupiter, elle rejoint les astres, y formant la Grande Ours. Le décor s’illumine alors d’étoiles au sein desquelles ladite constellation ressort. Bien sûr, l’on regrettera certains effets faciles (les jeux sur la virilité des satires) ou trop souvent répétés (certaines apparitions de l’ours paraissent peu justifiées), mais l’ensemble reste cohérent et poétique.
Elena Tsallagova et Giovanni Battista Parodi dans La Calisto (© Klara Beck)
Le rôle-titre est interprété par Elena Tsallagova (déjà présente in loco pour La petite renarde rusée). Si ses médiums sont parfaitement structurés, ses aigus sont aiguisés et ses graves dégagent une grande richesse de timbre, auquel elle parvient à conférer une belle fraîcheur malgré une couverture soignée. Son phrasé baroque, bien projeté, manque toutefois d’appui sur les fins de phrases. Allongée par terre, elle offre un intense filet vocal aussi fragile et délicat que la flamme d’une bougie. Vivica Genaux, qui interprète Diane (et l’Eternité), parvient quant à elle à jouer la déesse féminine, sensuelle et candide, aux gestes gracieux, exprimant sa mélancolie par des intervalles vocaux diminués et des graves profonds. Longue en souffle, elle offre alors un vibrato nerveux et une grande agilité vocale. Lorsqu’elle interprète Jupiter déguisé, le personnage est reconnaissable à sa démarche lourde, à sa gestique maladroite et à son expression faciale grossière et ironique. La voix est alors teintée d’une pointe d’amertume. Troisième personnage féminin, Junon est interprétée avec autorité par Raffaella Milanesi (qui chante également le Destin). Si la voix perd parfois de sa structure, le chant est voluptueux et nuancé. Son vibrato est ample et chargé de l’émotion du personnage. Elle offre même une note lunaire, tenue droite dans un pianissimo frissonnant qui impressionne les spectateurs.
Filipo Mineccia dans La Calisto (© Klara Beck)
Jupiter prend la voix Giovanni Battista Parodi dont le souffle est court mais dont la stature et le timbre sont élégants et la voix particulièrement profonde. Son fils, Mercure, est quant à lui chanté par Nikolay Borchev dont la voix généreuse et homogène résonne dans les graves d’un timbre brillant. Pour autant, ses ténors, qu’il lance dans des trilles bien exécutés, ne manquent pas d’éclat.
Le contre-ténor Filippo Mineccia recueille de nombreux lauriers au moment des saluts pour son rôle d’Endymion. Sa voix sombre et charnue aux médiums brillants et bien projetés bénéficie d’un phrasé sensible. Il tient ses notes droites avant de laisser apparaître un vibrato fin et rapide. Le Satire de Vasily Khoroshev offre un vrai numéro de comédien qui compense une voix de contre-ténor mal posée. Dans le rôle de Pan, le ténor Lawrence Olsworth-Peter dispose d’un phrasé de spécialiste du baroque mais sa voix est serrée dans l’aigu, étouffant son timbre clair. Enfin, Guy de Mey est une Linfea travestie à la voix parfois outrée mais parfois bien centrée, sèche et puissante selon l’état psychologique du personnage, dégageant une certaine suavité. Le public apprécie la magie et accueille la distribution sous les vivats.