Patrizia Ciofi, sublime héroïne Haendélienne
Patrizia Ciofi est indéniablement une soprano à part dans le paysage lyrique actuel. Aussi bien adulée que décriée en raison de sa singulière technique, la chanteuse a, grâce à son talent et à son charisme, totalement conquis le public de la Philharmonie de Paris ce mardi soir. En effet, ce qui marque et fascine l’auditoire, c’est la prise de risque permanente, l’incroyable engagement dont Patrizia Ciofi fait preuve pour incarner ces différents rôles, arrivant avec une facilité déconcertante à passer d’un état psychologique à un autre. Lors de cette formidable soirée, elle est tour à tour une démoniaque Alcina, qui invoque les esprits infernaux afin de se venger de Ruggiero (« Ah ! Ruggiero crudel… Ombre pallide ») ou bien encore une tendre Cléopâtre qui se rend compte de l’amour qu’elle éprouve pour Jules César, homme qu’elle a séduit par intérêt et dont elle pense avoir provoqué la perte (« Se pietà di me non senti »).
Patrizia Ciofi (© Jean-Pierre Maurin)
Sa voix a pourtant du mal à se poser au début du concert, faisant une entrée timide sur l’air « Morrai, si », où Rodelinda, l’épouse fidèle de Bertarido, adresse tout son mépris au félon Grimoaldo qui tente par tous les moyens de la séduire. Mais quelle explosion de virtuosité par la suite ! Quelle maîtrise technique ! Et il en faut pour surmonter les pyrotechnies vocales imposées par Haendel. La chanteuse se joue de toutes les difficultés, notamment sur l’air de fureur extrait de Rinaldo « Furie terribili », où elle fait entendre ses aigus magnifiques, très brillants, qui remplissent la grande salle de la Philharmonie dès la première note. Elle termine son récital en apothéose avec « Da tempeste », extrait de Jules César et composé pour la cantatrice Francesca Cuzzoni, un air d’une extrême difficulté, où Haendel semble avoir attaché une écriture très instrumentale à la voix (unisson avec le premier violon, grands intervalles, nombreux trilles, etc.). De plus, l'auditoire est particulièrement sensible au soin que Patrizia Ciofi apporte à l’ornementation des da capo (reprise ornée). Soigneusement choisis et interprétés par la soprano, ils viennent toujours soutenir et intensifier l’expression du texte.
Maxim Emelyanychev (© Julien Mignot)
L’ensemble Il Pomo d’Oro réussit lui aussi totalement sa soirée. En plus d’accompagner avec brio la soprano, les musiciens proposent un programme d’œuvres instrumentales qui, ne se résumant pas à de brefs intermèdes musicaux, apportent un contrepoint très intéressant aux airs chantés par Patrizia Ciofi, le tout formant un programme d’une grande cohérence. Le jeune chef Maxim Emelyanychev, qui dirige debout depuis le clavecin, arrive à impulser une énergie incroyable à ses musiciens. Un enthousiasme certain, mais qui est parfois un peu trop débordant (quelques imprécisions lors des interventions solistes du clavecin dans « Vo Far Guerra », extrait de Rinaldo). Le public ne s’y trompe pas et montre un fort intérêt pour deux œuvres instrumentales entendues que trop rarement au concert, un étonnant Adagio et Fugue de Hasse, compositeur considéré lui aussi comme l’un des maîtres de l’opera seria et pour la Sinfonia HWV 339, pièce qui montre l'une des autres facettes du génie du grand Haendel.