La Giuditta d’Avignon
La saison actuelle de l’Opéra Grand Avignon s’intitule « Femmes ! » et c’est bien une personnalité féminine qui est mise à l’honneur aujourd’hui. Une figure biblique en l’occurrence, qui, en tuant Holopherne, libéra ainsi à elle seule les Hébreux. Alessandro Scarlatti (à ne pas confondre avec son fils Domenico, célèbre pour ses travaux pour clavier) a composé deux oratorios sur le sujet. Celui présenté aujourd’hui est la version dite « de Cambridge » en raison du lieu où elle fut conservée. Comme c’est la tradition, l’oratorio est présenté en version concert. Il était en effet malvenu à l’époque de sa composition de représenter sur scène les personnages bibliques qui auraient pu paraître travestis ou grimés par les artifices du théâtre et distraire le public au lieu de l’instruire. Il est cependant dommage que le public n’ait ce soir que peu profité de la vocation édificatrice de cette œuvre en raison de l’absence de sur-titres (bien que la salle soit équipée). C’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’une œuvre rare, peu connue du public (l'organisation rappelle que la mémoire ne garde trace que d'une exécution précédente en France de cette version, avec l'Ensemble baroque de Nice et un certain Raphaël Pichon en nourrice) et chantée en langue étrangère (italien en l’occurrence). Il paraît ainsi difficile de s’immerger pleinement dans la morale dispensée par Judith dans le finale sans en maîtriser le sens. De la frustration peut aussi apparaître quand il devient impossible de saisir certains ressorts dramatiques, pourtant bien amenés par un livret intimiste resserré sur les trois personnages auxquels il donne la parole et portés par la qualité de l’interprétation musicale.
Dès l’ouverture l’Orchestre Ghislieri, spécialiste du répertoire jouant sur instruments d’époques et son directeur musical Giulio Prandi proposent des ambiances contrastées et évolutives. L’interprétation est énergique et plutôt puissante, appuyant ainsi la violence exprimée dans plusieurs passages du livret. Très attentif au chef, l’orchestre apparaît cependant parfois comme séparé du chant dont il résiste à reproduire ou à accompagner les inflexions. Cela est en particulier le cas pour le clavecin accompagnant les récitatifs de la première partie et d’autant plus prégnant que l’effectif total demeure limité.
#Concert LA GIUDITTA "DI CAMBRIDGE" oratorio d'Alessandro Scarlatti ✨ Cet après-midi à 16h à lOpéra Grand Avignon Infos et Billetterie : https://t.co/oe4Ehz0QVa Concert présenté dans le cadre de la 8e semaine italienne dAvignon Carte CLUB'OPERA pic.twitter.com/XanJMM0ghM
— OpéraGrandAvignon (@OperaAvignon) 20 octobre 2024
La Giuditta de Sonia Tedla Chebreab dévoile un timbre de soprano rond dans le médium avec des aigus cristallins. La voix demeure agile, passant sans encombre d’une note à l’autre. Les effets sont subtils et pertinents. Elle s’inscrit ainsi dans le développement du personnage qui allie à la fois le calme et l’assurance, l’autorité sans l’agitation. La délicatesse du phrasé est par moment remarquable, notamment dans sa complainte précédant le premier dialogue avec Holopherne qui comprend des notes piano d’une particulière sensibilité. Scéniquement, ses yeux restent par contre accaparés par la partition et elle peine à créer une réelle communication avec le public comme avec ses partenaires.
Le contre-ténor Filippo Mineccia incarne le rôle travesti de la nourrice. Il est beaucoup plus impliqué physiquement et parvient le plus souvent à faire vivre le drame. Cela est soutenu par la fougue du chant qui se montre puissant tout en exploitant la richesse du timbre. Le souffle est efficace et se maintient sur de longues lignes de chant à la fois projetées et richement ornementées. Des aigus aériens s’élèvent au fil des vocalises.
Holopherne prend les traits du ténor Raffaele Giordani. L’articulation est énergique et contribue à rythmer le chant. Chaque syllabe est précisément audible. Les inflexions de tons stimulent le phrasé tout en soulignant le vice du personnage. La ferveur et le volume de la voix saisissent l’auditeur. Le timbre présente de fines aspérités.
Emporté par l’intensité de la musique et la brillance des voix, à défaut d’être emporté par le livret (pour les moins italophones), le public présent manifeste son enthousiasme par ses applaudissements et même quelques acclamations lors des saluts.