Le cirque spectaculaire d'Alcione pour la réouverture de l'Opéra Comique
Pour pleinement profiter de ce compte-rendu, nous vous invitons chaleureusement à consulter notre présentation d'Alcione et de ses personnages, en cliquant ici.
Heureux de retrouver l'Opéra Comique flambant neuf et son rouge Favart, le public applaudit chaleureusement le discours de réouverture prononcé par le directeur Olivier Mantei. Il en fera encore davantage pour le spectacle.
L'éclat et le roulement des timbales de cette partition célèbrent comme il se doit la réinauguration de cette salle. Sous la direction de Jordi Savall, les lignes instrumentales du Concert des Nations se projettent en de vigoureux mouvements, contre-temps accentués, retenues maîtrisées, le tout alternant avec raffinement des sons voilés et exclamés. Les pupitres sont ensembles, et au-delà de simplement jouer les notes en même temps, ils ressentent les mêmes mouvements. De fait, les plans sonores sont parfaitement incarnés et distincts dans les mouvements en imitation et fugués.
Le plateau mis en scène par Louise Moaty est un rêve d'enfant et de moussaillon avec tous ses cordages et mécanismes. La scène figure les cordes et poulies d'un bateau, lestés par des sacs de sable. Les danseurs et circassiens (dont Nicolas Lourdelle est le régisseur) s'y accrochent pour tournoyer dans les airs. Ils lancent leurs corps dans des mouvements tour à tour saccadés et virevoltants, suivant la musique. Ils multiplient galipettes, rondades et saltos se catapultant, associant grâce et sauvagerie. Les circassiens bondissent jusqu'aux sommets du théâtre et plongent en tourbillonnant, tirés par d'habiles et puissants manipulateurs de cordages lestés. Des terriens tentent de saisir au vol ces esprits flottant dans les airs, mais leurs embrassades sont aussi fugaces que les plaisirs amoureux dans une tragédie. Certains de ces acrobates se révèlent également être des choristes, voire des solistes remarquables. Soudain, dans l'éclat d'une machine à vent et à tonnerre, les furies serpentent sur les colonnades du palais et les mettent à bas en semant la terreur au-dessus de la fosse et dans les loges.
Sebastian Monti, Alba Faivre et Maud Payen, suspendus dans les airs (© Vincent Pontet)
D'abord vibré d'allégresse dans le rôle-titre, le chant de Lea Desandre est un trille permanent. Maîtresse de l'art du port de voix, elle sait projeter et ramener le son à elle, y compris dans la même phrase, selon l'humeur du texte et ses brusques déchirements. Cette maîtrise résonne d'ailleurs avec celle des instrumentistes qui savent projeter ou recueillir le son, s'approchant au plus près des auditeurs ou s'éloignant à plusieurs lieues, sans bouger de leurs places. Alcione sait aussi bien fondre son mezzo piano dans le murmure du continuo.
Son promis, Ceix, chanté par Cyril Auvity, est toujours placé et intense d'émotion. Son air "Dieux cruels" est contrit de douleur et insiste sur son humanité déchirée, davantage que sur la révolte contre les dieux que porte le texte. Les saltimbanques serrent littéralement le nœud de leur mariage, tressant des cordes marines et nouant les époux au milieu, loin d'imaginer les fins de stase désespérées dans leur duo de séparation éplorée.
Lea Desandre et Cyril Auvity (© Vincent Pontet)
Immédiatement, la prononciation et la prosodie de Marc Mauillon éblouissent. L'interprète a la chaleur délicieusement surannée du français radiophonique d'antan. Cette qualité d'articulation est au service du jeu d'acteur de ce personnage ambivalent, souffrant d'amour pour Alcione et se reprochant cette trahison envers son ami Ceix. Le baryténor accroche sa voix dans le médium, expirant sur les "h" de "hélas", avec des nasales sombres à souhait. Ce Pelée interprète ses airs comme des chansons, assouplissant le rythme et glissant sur les sauts d'intervalles.
Lisandro Abadie en magicien Phorbas a l'enfer dans la voix, mais il sait adoucir le chant par un souffle enjôleur, manipulateur. Son jeu éloquent compense un volume sonore mesuré, notamment dans le grave souvent convoqué pour ce personnage maléfique. Dans sa robe gothique pourpre, son élève magicienne Ismène, a les mouvements et la voix feutrée et froncée d'Hasnaa Bennani (également Première Matelote). La Prêtresse Hanna Bayodi-Hirt (en outre bergère et Seconde Matelote) est ornée avec la voix assourdie.
Lisandro Abadie et Pauline Journe sont Phorbas et Proserpine (© Vincent Pontet
Le Roi Tmole ouvre l'opéra et le concours entre Apollon et Pan. Campé par Antonio Abete, il trône sur un orgue doré et aura la même superbe en Grand-Prêtre et Neptune. Lisandro Abadie qui interprète également ce rôle de Pan, joue bien le dépit presque rageux du mauvais perdant dans le concours de chant face à l'Apollon Sebastian Monti. Tiré par deux filins, aussi bien dans ce rôle solaire qu'en Sommeil, il s'élève dans les airs et chante à une dizaine de mètres du sol. Phosphore, père de Ceix est le contre-ténor lumineux Gabriel Jublin descendant des cieux sur un globe pour annoncer la réunion d'Alcione et de Ceix. Les deux confidentes d’Alcione, Maud Gnidzaz et Lise Viricel, soutiennent l'héroïne tragique de leurs aigus entremêlés avec légèreté.
L'ensemble des chanteurs se joignent en un chœur aussi sonore que riche en timbres. Ils enchaînent des poses baroques et s'animent sous l'impulsion des danseurs (les collaboratrices à la danse baroque sont Gudrun Skamletz et Caroline Ducrest).
Lea Desandre (© Vincent Pontet)
Les voiles marines, nuptiales, du deuil et du sommeil couvrent le plateau. Les marins se noient dans les loges présidentielles et Ceix dans la fosse. La viole rappelle le génie de Marin Marais en accompagnant la mort d'Alcione sur le cadavre de Ceix, afin que Neptune les ressuscite d'une vie immortelle, le chœur célébrant, "parmi les mille concerts charmants, le triomphe de ces amants" auquel répond celui du public.