Marc-Antoine Charpentier et Marin Marais, de la lumière aux ténèbres
Le concert, en deux parties, débute dans la lumière avec deux suites de Marin Marais extraites des Pièces en trio, succession de danses (sarabande, gavotte, menuet) comportant un prélude suivi d’une pièce plus libre et plus développée (chaconne, passacaille). Ces suites sont interprétées par deux violons et deux flûtes à bec (pour la première suite) ou deux flûtes allemandes, nom de la flûte traversière de l’époque (pour la deuxième suite). La basse continue réalisée par un clavecin, une basse de viole et un théorbe permet de varier les timbres selon les danses. Alexis Kossenko dirige son ensemble tout en jouant la première flûte, indiquant les tempi et les respirations par de larges mouvements du corps. L'auditoire peut cependant regretter que l’acoustique de l’église n’offre pas un son bien défini et accentue la sonorité feutrée des instruments anciens.
Alexis Kossenko (© Philippe Genestier)
Après une pause, la pénombre gagne l’église. Seuls les pupitres demeurent éclairés par de petites lampes, ambiance évoquant les circonstances de la composition des Leçons de Ténèbres, offices qui ont lieu en fin d’après-midi les mercredi, jeudi et vendredi saints. Durant le règne de Louis XIV, ces offices étaient si appréciés (surtout pour écouter la musique de Charpentier, Delalande ou Couperin) qu’ils deviendront de véritables concerts.
Les Ambassadeurs interprètent les troisièmes Leçons de Ténèbres pour voix de basse et ensemble instrumental avec le même effectif que durant la première partie, l’orgue remplaçant le clavecin. Le chanteur, Stephan Macleod, est parfait de sobriété pour interpréter cette œuvre. Il se tient derrière son pupitre, lisant précisément la partition. Il est le porte-parole de Jeremie qui pleure la ruine de Jérusalem et l’expulsion du peuple juif. Sa voix bien définie et souple, sa parfaite diction, sa façon d’orner certaines notes pour mettre en valeur des mots, rendent le texte parfaitement intelligible.
Stephan MacLeod (© DR)
L’utilisation du latin prononcé à la française (les u prononcés « u » et non « ou ») colore son chant de façon spécifique. Chacun des versets est précédé de vocalises sur les premières lettres de l’alphabet hébreu (Aleph, Beth…) qui rappellent la langue dans laquelle ont été écrites ces lamentations. Stephan Macleod les interprète en jouant avec des sons non vibrés au début des tenues et en libérant ensuite le vibrato comme ornementation de ce même son. Tous les effets vocaux sont réalisés très subtilement, sans effusion, traduisant le caractère austère et sophistiqué de cette musique.
Les Ambassadeurs (© Hans Moens)
Remarquable équilibre entre le chanteur et les instrumentistes : la basse, bien que placée au centre, fait partie intégrante de l’ensemble. Les instrumentistes, dans les préludes ou postludes, se chargent de renforcer un mot ou de valoriser une phrase. Ces pièces sacrées et intimistes, à l’harmonie variée, modulant sans cesse, produisent une musique à l’émotion contenue et épurée, qualificatifs convenant également pour les deux pièces instrumentales de Marin Marais jouées entre ces Leçons de Ténèbres. Remarquable également, l'interprétation de la pièce de viole (plainte) par Lucile Boulanger, qui rappelle que cet instrument fut l’objet de la plus grande attention de Marin Marais -lui qui a su en utiliser toutes les ressources.
Notons enfin les suspensions et les silences entre les versets, qui peuvent inciter l’auditeur à la méditation et à être peu réactif en applaudissements (marque d'appréciation). Le concert achevé, le public sortira toutefois de son recueillement pour ovationner les musiciens.