"Joyaux du Bel Canto", Gala de l’ADOR à Versailles
C'est bien Versailles ici ! et le programme de ce Gala est assurément une fois encore de format royal, offrant un sacré parcours artistique, déambulatoire et festif.
Après une réception au champagne (l'autre fil rouge de la soirée, avec la musique) dans la Salle des Croisades, le concert de Gala Bel Cantiste se déroule à l'Opéra Royal, suivi par un cocktail au Salon d'Hercule : l'occasion d'apprécier dans la foulée, une nouvelle flûte à la main, l'impressionnante exposition consacrée jusqu'au 3 novembre au "Cheval en majesté", le tout dans le calme et la pénombre d'un château désert (impression renforcée en regardant le reflet des jardins nocturnes dans la Galerie des Glaces) après un moment musical à la Chapelle Royale et avant un grand dîner dans la Galerie des Batailles (et, entre autres, son caviar de Madagascar). Le tout s'achève par un retour à la Galerie des Glaces pour le bouquet final... littéralement : un feu d'artifice.
Un parcours royal, en somme, où le convive arpente dans un climat souverain, ces lieux, cette histoire, ce patrimoine. Le répertoire programmé fait bien entendu la part belle à la musique du temps de Louis XIV, y compris durant les changements de lieu et durant le dîner avec des intermèdes, et surtout par la Troisième Leçon de Ténèbres pour le Mercredi Saint de François Couperin dans la Chapelle Royale, interprétée avec énergie et droiture, en costumes aristocratiques par les sopranos Fanny Valentin et Isaure Brunner (fille de Laurent Brunner, Directeur de Château de Versailles Spectacles), avec Simon Kalinowski à l'orgue.
Mais avant cela, plongeant après ce Grand Siècle dans le grand répertoire du Bel Canto, le concert de gala à l'Opéra Royal rappelle combien Versailles s'ouvre aux élans romantiques. Le programme est en effet exclusivement consacré au XIXe siècle, à l'Italie et à la France. Notre patrie est même tout particulièrement à l'honneur, par son programme (Donizetti y fait ici chanter français, et même le "Salut à la France" de La Fille du Régiment), ainsi que par ses interprètes : l'Orchestre et le Chœur de l’Opéra Royal accompagnant quatre artistes lyriques mettant la France à l'honneur et du vent dans ses voiles.
Sont ainsi réunis, rien moins que les trois artistes lyriques nommés cette année dans la Catégorie Révélation aux Victoires de la Musique Classique (tous interviewés de fait sur nos colonnes), ainsi qu'un membre "éminent" (dixit Laurent Brunner) de l’Académie de l’Opéra Royal.
L'Orchestre de l’Opéra Royal est dirigé par ses deux chefs tutélaires, alternativement. Ce choix a de quoi étonner car Gaétan Jarry et Stefan Plewniak s'échangent tour à tour le podium presque pour un morceau sur deux, plutôt qu'en raison d'une logique apparente de répertoire (alors que le premier est plus habitué à conduire cette phalange dans le répertoire français, le second dans l'italien). Cette alternance permet toutefois de constater combien ils ont en commun une fougue dans la direction, et de comparer combien elle se fait plus tranchante chez le second, plus ronde chez le premier (mais tout aussi intense, et animée). L'un bondit et rebondit tandis que l'autre saute et cravache. Les deux emportent tout sur leur passage, et les immenses élans sonores de cette phalange sont assurément leur point fort.
À l'inverse, les passages plus délicats et exposés trouvent en difficulté ces musiciens qui se risquent certes à jouer ce répertoire sur instruments d'époque (instruments eux-mêmes bien plus exposés, qui offrent moins de volume sonore et "pardonnent" beaucoup moins). Or, de nombreux passages sont très exposés (à commencer par l'Ouverture du Guillaume Tell de Rossini qui est à elle seule comme un opéra concentré en 15 minutes). La qualité des trombones virtuoses et des bassons bondissants se fait d'autant plus remarquer et apprécier, tout comme la finesse de la flûte qui s'approche de la précision (mais finit par perdre son souffle), et du hautbois qui fait de son mieux pour éviter les canards tapis dans la "Sombre forêt" de Guillaume Tell. Les autres fresques instrumentales du programme manquent d'endurance (les lignes perdant en rigueur et en vigueur).
Malheureusement aussi, le Chœur plongé dans ses partitions ne déploie de ce fait pas le potentiel rythmique et d'assise qui se dessine dans l'homogénéité de leurs voix.
Les artistes lyriques s'expriment chacun à leur tour, puis en ensembles, dans de grands airs et certains tubes du répertoire (Norma, Cenerentola, Duo des fleurs pour mesdames et des Pêcheurs de perles pour messieurs).
La soprano Lauranne Oliva ouvre le bal vocal, s'émerveillant du lieu (jouant déjà) dans sa belle robe violette aux corolles allant des épaules au plexus : là même où elle installe la richesse sonore de sa vocalité. En effet, l'appui à la fois rayonnant et d'une matière nourrie installe le son jusque dans de riches et agiles vocalises (et presque jusqu'aux cîmes).
La mezzo-soprano Juliette Mey, dans une robe au rouge franc, fait tout en facilité et délicatesse. Son grave est même rendu avec une forme de désinvolture (qui correspond en fait au jeu du personnage : rendant sa Cenerentola plus bravache encore). Son jeu est d'une précision chirurgicale sans rien d'inutile, à l'image de la précision de ses phrasés et des montées vers l'aigu, portées par la projection et le vibrato.
Le ténor Léo Vermot-Desroches installe sans coup férir l'intensité de son phrasé et de l'incarnation lyrique. Il sait même contre-carrer quelques manques de souffle en intensifiant encore ses fins de phrasés en crescendo. Le grave le plus profond lui manque dans les passages lents, mais il balaye tous les bémols dans ses vocalises placées : élans percutants de douceur comme d'héroïsme.
Halidou Nombre est mis en difficulté par son choix de répertoire et d'interprétation. Le style bouffe de Rossini impose déjà en soi une mécanique implacable dans l'enchaînement de notes après lesquelles le baryton part en poursuite, et pourtant, il se pique de multiplier encore les ornements. Son vibrato naturellement très large transforme alors la voix en vrombissement. Paradoxalement, c'est le passage le plus rapide qui lui permet de rattraper le tempo, contraint qu'il est alors d'aller à l'essentiel de la ligne vocale. L'assise et l'accroche s'affirment alors, comme lorsqu'elles ont le temps de s'installer. Il peut de fait affirmer sa voix d'autorité, à la ligne épaisse mais au phrasé clair, au timbre noble et vigoureux.
Ce Gala est très chaleureusement applaudi par l'assistance, qui continuera longtemps à se faire les échos de ces joyaux du bel canto, en chantonnant ou en conversant, dans le château ou sur le chemin du retour.
Un Gala qui, comme pour tous les concerts à Versailles depuis une décennie, pour toutes celles et tous ceux ayant eu la joie de la connaître, aura fait briller dans chaque lumière et tinter dans chaque note, le souvenir du regard étincelant et les échos du rire de Joëlle Broguet, à jamais Membre Fondatrice de l'ADOR.