La Philharmonie de Paris, c'est le Pérou ! avec Juan Diego Flórez
Juan Diego Flórez n’est pas seulement connu de son pays et au-delà comme soliste d'opéra. Il est également à l’origine d’un projet artistique : la "Sinfonía por el Perú". Réunissant de jeunes musiciens venus de tout le pays, ce projet social mise sur l’enseignement collectif à travers la musique afin de faciliter leur avenir, à l’instar du modèle vénézuélien fondé par José Antonio Abreu, connu par l’orchestre "El Sistema" dirigé par Gustavo Dudamel. Comme ce dernier, la Sinfonía por el Perú accompagne le chanteur dans plusieurs de ses récitals.
Le programme hétéroclite proposé pour cette tournée permet au public d’apprécier l’art de Juan Diego Flórez dans différents registres, styles et langages, allant du répertoire belcantiste italien (Bellini, Donizetti) au répertoire en français de la seconde moitié du XIXe siècle (Gounod, Offenbach), pour se conclure par un hommage à la culture hispanique avec la zarzuela. Le chanteur qui approche des 30 années de carrière a choisi des œuvres qu’il connait à la perfection, ne prenant pas de risque, ni vocalement pour lui, ni surtout musicalement pour l’orchestre constitué de tout jeunes musiciens.
Après l’ouverture de Norma, d’un pas leste, Juan Diego Flórez fait son entrée sous des applaudissements déjà bien fournis. Élancé, élégant dans son costume trois-pièces impeccable, il montre combien le temps ne semble pas avoir de prise, ni sur lui, ni sur sa voix. Dès les premières notes émises, le charme opère visiblement sur l'auditoire, avec ses mezza voce (mi-voix), une compréhension parfaite du texte aussi bien en espagnol qu’en français et italien, ce soin apporté aux couleurs diversifiées selon les mots et les intentions (y compris dans les récitatifs), le tout accompagné d’une gestuelle adaptée sans esbrouffe, avec ancrage et projection solide quel que soit le registre, contrôle du legato, ainsi que sa facilité à passer du medium à des aigus puissants.
Sa voix fraîche, légère, brillante, acidulée donne à chaque mot une saveur et à chaque ligne mélodique une voluptuosité sensuelle. Le chanteur sait se fait séducteur et badin, provocant les rires du public lorsqu’il précise être le « jeune homme frais et beau » Au mont Ida qu'il chante.
Sa voix douce, soyeuse et légère est toujours assurée afin d’exprimer la délicatesse et la mélancolie. Il utilise peu la voix mixte ou de tête et privilégie la voix pleine agrémentée de mezza voce, de nuances pianissimo susurrées, d’attaques délicates.
Dans son répertoire hispanique, la voix est plus piquante pour exprimer la vitalité et la fierté patriotique.
Ce récital « Machu Picchu » dont le chanteur gravit chaque marche avec assurance se termine en apothéose avec Granada, hommage à ses femmes gitanes, à sa terre de feu, à son chant « plein de fantaisie, plein de mélancolie ».
L’orchestre est dirigé par la jeune cheffe colombienne Ana María Patiño-Osorio de façon précise et engagée. Les 75 jeunes musiciens possèdent une technique instrumentale solide, une cohésion d’ensemble indéniable ainsi qu’un bel enthousiasme. Ils manquent cependant encore de maturité dans les œuvres du répertoire, ils accompagnent plus qu’ils n’échangent avec le chanteur. De ce fait, l’expressivité n’est pas toujours au rendez-vous. La phalange péruvienne est bien plus à l’aise dans le répertoire hispanique en instaurant un dialogue (et une respiration) avec le chanteur, en proposant dès les premières mesures une ambiance en adéquation avec le texte, passionnée et émotionnelle comme le sont ces romances. Le répertoire est d’autant plus rodé qu’il vient d’être enregistré pour un CD intitulé (sans surprise) Zarzuela, produit par le chanteur sous le label « Florez Records ».
Après l’ovation du public comptant bon nombre d’espagnols et de latino-américains, quelques ¡Hola! et échanges avec eux, le ténor et l’orchestre offrent généreusement plusieurs bis : deux chansons traditionnelles dont l’une accompagnée à la guitare par le chanteur lui-même, une version arrangée d’El condor Pasa interprétée par l’orchestre, enfin Nessun dorma de Puccini. Rien de mieux assurément pour terminer la Mascletà qu'un "Vincerò" triomphal, résonnant dans la grande salle Boulez de la Philharmonie.