Il Piccolo Marat, Mascagni révolutionnaire à Nantes
Créé avec un immense succès à l’Opéra de Rome en mai 1921, Il piccolo Marat, ouvrage en trois actes sur un livret conjoint de Giovacchino Forzano (qui a également signé Sœur Angélique et Gianni Schicchi pour Puccini) et Giovanni Targioni-Tozzetti (Cavalleria Rusticana déjà pour Mascagni), situe l’action à Nantes durant l'un des épisodes les plus douloureux de la révolution française. La terreur frappe alors Nantes avec une virulence toute particulière : le député Carrier (l’Orco dans l’opéra) mène une politique extrême d’élimination des opposants au nouveau gouvernement. Pour vider les prisons, il charge les prévenus dans des barques qu’il fait couler en baie de Loire, tout en guillotinant à tour de bras. Cet épisode sanglant entraînera son rappel sur Paris au printemps 1794 avant qu’il ne soit lui-même guillotiné en décembre de la même année.
Mascagni s’est emparé de ce sujet sur la révolution française avec une passion que la situation difficile de l’Italie au sortir de la Grande Guerre et la prise de pouvoir par Mussolini qui s'annonce (en 1922) exaltent encore un peu plus. Comme il le disait lui-même « J’ai écrit un opéra qui a les poings serrés, à l’instar de mon âme. N’y cherchez ni mélodie, ni culture : il n’y a que du sang. C’est l’hymne de ma conscience ». Mascagni introduit au sein de l’intrigue une histoire d’amour entre le Petit Marat (qui se fait passer pour un révolutionnaire, pour sauver sa mère, Princesse de Fleury) et la belle Mariella, nièce du terrible Orco qui ne cesse de la harceler et de la battre. Pour autant, la fin de l’opéra s’avère heureuse, avec la fuite en barque d’Il piccolo Marat et de sa mère, en compagnie de Mariella et du Charpentier qui abat l’Orco.
Le compositeur s’est toujours efforcé de varier autant que possible son approche musicale et son inspiration. Il piccolo Marat s’ouvre ainsi sur un chœur désespéré des prisonniers priant la Sainte Vierge, avant que le Premier Acte n’évolue vers des atmosphères beaucoup plus sombres. Au Deuxième Acte, à l’affrontement viscéral qui oppose l’Orco au Soldat succède le superbe duo d’amour d’Il piccolo Marat et de Mariella, la page assurément la plus inspirée de la partition.
La production scénique présentée en 2021 pour le Centenaire de la création de l’ouvrage au Teatro Goldoni de Livourne, a été mise en scène par Sarah Schinasi. C’est une version semi-scénique qui est proposée à Nantes puis Angers, Sarah Schinasi revenant aux manettes. Son approche judicieuse et attentive, ponctuée simplement de quelques pièces de mobilier, permet effectivement de mieux appréhender un ouvrage où toutes les tentations de débordements sont par ailleurs possibles. Pietro Mascagni cherche ici à se démarquer de l’empreinte vériste (réaliste) dans lequel il apparaît trop souvent enfermé.
Dans le rôle central de l’Orco, la basse profonde Andrea Silvestrelli fait entendre un matériau encore solide et d’une singulière largeur, composant un personnage à la fois puissant mais aussi traversé par les réminiscences de l’horreur de ses crimes.
Dans le rôle du Piccolo Marat, créé par le ténor espagnol Hipolito Lazaro, spécialiste du répertoire vériste et disposant d’un aigu triomphant, Samuele Simoncini (Mario Cavaradossi sur ces mêmes scènes au printemps dernier) remplit avec aisance sa mission. Si l’aigu apparaît libéré et vif en ce soir de première, le médium reste un peu flou et compact. Mais le personnage incarné, avec ses deux volets contradictoires, est pleinement crédible et bien présent.
À ses côtés, la jeune soprano italienne Rachele Barchi déploie un aigu radieux et facile en Mariella, la voix devant s’épaissir sur ce rôle encore un rien tendu pour elle. Le baryton-basse Matteo Lorenzo Pietrapiana donne beaucoup de relief au Soldat, fier ambassadeur de la Convention. Il possède une voix posée, attrayante, dotée d’une projection qui peut encore se libérer. Le Charpentier trouve un interprète à la voix puissante et un peu sauvage dans le baryton chypriote Stavros Mantis, tandis que la mezzo-soprano Sylvia Kevorkian campe avec ferveur la Mère du Petit Marat.
Les sbires (l’Espion, le Voleur, le Tigre, le Capitaine) qui entourent l’Orco sont diversement interprétés par Alessandro Martinello, Simone Rebola, Gian Filippo Bernardini et Pablo Castillo, ce dernier étant issu du chœur. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra, intervenant depuis la scène ou depuis une loge d’avant-scène, se trouve préparé avec soin et efficacité par son chef habituel, Xavier Ribes.
La direction musicale d’Il piccolo Marat est assurée par Mario Menicagli. Ce dernier apparaît comme un vrai spécialiste de Mascagni, ayant dirigé dans la péninsule italienne la presque totalité des ouvrages lyriques du compositeur. Il tient les rênes de l’Orchestre National des Pays de la Loire avec fermeté et rigueur, tout en impulsant la part de lyrisme indispensable à cet ouvrage sombre et inquiétant.
Après un Premier Acte réservé, le public du Théâtre Graslin de Nantes ne ménage pas ses applaudissements à l’issue de la représentation.
Retrouvez également la présentation de la saison par Alain Surrans et l'annonce de la nomination d'Alexandra Lacroix appelée à lui succéder