Le cas "Wozzeck" à l'Opéra de Lyon
Le travail de Richard Brunel et du scénographe Étienne Pluss expose d'une manière clinique l'état de délabrement et de misère d'un monde dont le tragique semble aussi bien enfermer le protagoniste que déteindre sur lui. Au laboratoire succède la maisonnette de la famille Wozzeck et un arrêt de bus sinistre. La demeure, constamment sous observation, semble même devenir comme un lieu de surveillance (résonnant avec les expériences que mène initialement le docteur sur ce pauvre hère). Grâce à une caméra fixe et à un robot géant, Wozzeck est transformé en rat de laboratoire, entraînant sa femme et son enfant dans cette surveillance continue. Le couple dépérit sous ce poids. Marie, en manque d’affection, finit par tromper Wozzeck avec le Tambour-Major, tandis que leur enfant est de plus en plus livré à lui-même.
La présence du robot, élément central de la scénographie, interagit ainsi avec le plateau vocal. Sous forme de lampe géante suspendue au-dessus de la scène, il surveille en permanence les artistes, contribuant à la tension de l'intrigue et au sentiment d'oppression qui s'en dégage. Les costumes, réalistes et minutieusement conçus par Thibault Vancraenenbroeck, définissent clairement le rôle et la fonction sociale de chaque personnage.
Dans le rôle de Wozzeck, le baryton Stéphane Degout livre une performance puissante et captivante. Son timbre riche et expressif couvre la scène, traduisant le tourment intérieur de son personnage, jusqu’à son tragique destin. Maîtrisant l’art du parlé-chanté, il enrichit son interprétation de graves profonds, amples, mais toujours clairs, signe d'une virtuosité vocale qui sait se mettre au service du texte.
La soprano Ambur Braid, dans le rôle de Marie, affronte les obstacles avec détermination, d'une stature froide et méfiante envers son mari qu’elle traite presque comme un inconnu. Elle redevient la mère protectrice et aimante envers son enfant. Sa voix, aisée dans les aigus mais aussi dans les tons plus graves, devient de plus en plus intense, s'abandonnant même à des cris déchirants qui expriment son désespoir inconsolable.
Le ténor Robert Watson, en Tambour-Major-Macho, est doté d’une voix tout aussi engagée et limpide que ses collègues, les aigus ont de l'impact et de l'ancrage.
Thomas Ebenstein, dans le rôle du Capitaine, déploie une voix métallique et souple, exagérant volontairement certaines lignes pour accentuer une dimension plus excentrique du personnage.
La basse Thomas Faulkner traduit vocalement et scéniquement les intentions diaboliques du Docteur, son impact et sa projection rendant la dimension oppressante et inquisitrice. Sa réplique « Je serai immortel ! Immortel ! » révèle tout particulièrement ses ambitions, quitte à exploiter le "cas Wozzeck" jusqu’à la perte de celui-ci. Le ténor Robert Lewis campe le rôle d’Andrès, l’ami sans empathie de Wozzeck, dont la voix est légère mais consistante par un vibrato musclé et bien projeté.
Les artistes de l’Opéra Studio maison montrent également un grand potentiel. La mezzo-soprano Jenny Anne Flory, en Margret, incarne avec douceur son personnage, tandis que la basse Hugo Santos, dans le rôle du prêtre, impose une présence discrète mais autoritaire grâce à des graves polis et bien soutenus. Le baryton Alexander de Jong, dans le rôle du Ministre, se distingue par son jeu énergique et sa voix musquée. Le fou, interprété par le ténor Filipp Varik, fait une brève mais déterminante apparition, révélant à Wozzeck l'ampleur du complot qui se trame contre lui.
Enfin, le jeune Ivan Declinand, dans le rôle de l’enfant de Wozzeck, se retrouve, seul survivant de la famille, à dîner seul, entouré des corps inanimés de ses parents. Insensible aux moqueries de ses camarades en coulisses interprétés par des membres de l'espiègle et pétillante Maîtrise de l'Opéra de Lyon, il continue à manger devant son dessin animé.
Le Chœur de l’Opéra national de Lyon, également préparé par Benedict Kearns, endossant à la fois les rôles de cobayes et d'invités de la fête, anime les scènes avec une belle énergie et une puissante unité vocale.
L’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, dirigé par Daniele Rustioni, offre une interprétation dynamique de la partition d'Alban Berg. Les cordes sombres renforcent l’atmosphère de tension croissante jusqu'à un final particulièrement saisissant : la tension dramatique, soutenue par la fosse, y atteint son paroxysme.
Tous les artistes, ainsi que les techniciens, viennent saluer sous les applaudissements chaleureux du public, avec un clin d’œil final du robot, qui effectue quelques mouvements en guise de salut.