La Tempête à la Cité de la Musique : La Messe est dite !
C’est le cas avec ce programme déconcertant et séduisant à la fois. Déconcertant par la variété et l’éloignement chronologique et musical des pièces choisies, et séduisant (comme quand il propose de mélanger musiques traditionnelles d’Europe Centrale et compositeurs romantiques allemands, ou Antoine de Févin avec Arvo Pärt ou encore le Stabat Mater de Scarlatti avec de l’accordéon, de la clarinette et du charango andin), et aussi par le plaisir d’entendre des œuvres trop peu souvent interprétées comme la Messe de Notre-Dame de Machaut ou les Cantigas de Maurice Ohana.
Simon-Pierre Bestion explique ainsi à Claire Boisteau l’élaboration de ce programme copieux et intense : “La musique médiévale est la première inspiratrice de ce programme. Elle a influencé Stravinski et Ohana : le Premier a écrit sa messe après la découverte de celle de Machaut ; quant à Ohana, ses Cantigas de Santa Maria font référence à celles d’Alphonse le Sage, aux chansons populaires et aux processions mariales espagnoles [...]. Les musiques de Machaut, de Stravinski ou d’Ohana peuvent être assez complexes, voire austères. Il était nécessaire pour moi de tisser un lien entre elles, au cœur d’elles, pour en faciliter l’écoute [...]. J’aime l’idée de désorienter l’auditeur dans les époques, qu’il ne sache distinguer le moderne de l’ancien, L’important est de revenir à l’essence des choses.”
Tisser des liens entre l’ancien et le moderne, Simon-Pierre Bestion l’assume pleinement, et l'accomplit d’abord par un tuilage entre les tonalités qui fait que tous les morceaux s'enchaînent de manière naturelle, et aussi par le traitement vocal qu’il demande à ses solistes (tous également choristes de l’ensemble) qui optent, chez Machaut comme Stravinski, pour une émission droite et pleine, quasi grégorienne, qui magnifie les lignes et amplifie les couleurs.
Ce qui caractérise également La Tempête, ce sont ces déambulations et cette spatialisation systématique des programmes, élaborées et pensées judicieusement pour que l’auditeur ait l’impression que la musique vient de partout, tout le temps, afin qu’il soit plongé dans un bain de notes enivrant et revigorant.
L’essence du programme est certes liturgique (deux Messes entremêlées avec des Cantigas dédiées à la Vierge Marie), mais dépasse très vite le cérémonial catholique.
D’abord par des effets lumineux démultipliés, passant sans cesse de la pénombre éclairée par les lampes-pupitres des chanteurs à des plein-feux éblouissants. La rotation d’un énorme gong central qui sert d’écran de projection où les anges et les saints se croisent, pour devenir un astre cuivré et réconfortant, ou bien une machine infernale presque inquiétante, sert de fil rouge à cette Messe qui se transforme peu à peu en une cérémonie païenne ou à un rite africain. L’utilisation de l’encens et les dispersions des chanteurs devenus presque prêtres vaudous par moment renforce le côté mystique et prenant de l’interprétation.
Concert vocal : Du Moyen-Âge au XXe siècle, aller-retour, c'était hier soir avec l'ensemble La Tempête et Simon-Pierre Bestion. © Ondine Bertrand / Cheeese pic.twitter.com/OJdsB4hjUe
— Philharmonie de Paris (@philharmonie) 4 octobre 2024
Autre particularité séduisante : tout le programme est joué sur des instruments anciens (y compris pour Ohana ou Stravinski), ce que Simon-Pierre Bestion défend ainsi : “je me suis aussi appuyé sur des instrumentistes proches de la musique ancienne, qui ont une excellente connaissance des phrasés, une intelligence musicale que j’aime beaucoup. Ils ont l’habitude de travailler sur des partitions historiques, où peu de choses sont notées et qu’il faut donc s’approprier, avec respect et inventivité.”
Si presque chaque membre de l’Ensemble délivre un solo à un moment à un autre, se remarquent particulièrement la fraîche projection de Caroline Michel, la rondeur cuivrée d’Aline Quentin, la suavité du timbre d’Édouard Monjanel ainsi que la robustesse et la souplesse de René Ramos-Premier.
Un spectacle total au final, où voix, instruments, effets lumineux (et même olfactifs) se juxtaposent pour une transe quasi tribale acclamée par un public d’aficionados récompensés par la reprise du très rythmé Santa Maria, strela do dia d’Alphonse le Sage en guise de bis décapant.