Requiem sans compromis, Muti dirige Verdi à la Philharmonie
Le chef italien Riccardo Muti (qui fêtait cette année ses 83 ans) connaît son Verdi sur le bout des doigts, ayant passé toute sa carrière à réfléchir et interpréter sa musique. Avec une œuvre aussi puissante et symbolique que le Requiem (que le chef a enregistrée plusieurs fois), autant dire que son interprétation était attendue. Il dirige ce soir l’Orchestre National de France visiblement concentré et engagé dont se remarquent les beaux solos, du basson et des bois tout en couleurs aux cuivres cinglants et justes, en passant par des pupitres de cordes détaillés et expressifs.
Sur le podium, le chef est attentif à tout, imposant sa silhouette énergique, précis dans le geste, communiquant ses intentions sans débauche inutile (même ses sauts sur le podium au plus fort de la mêlée ne se départent pas d’une certaine élégance). Une silhouette à l’image de l’interprétation : un Requiem sans superflu, qui sonne avec une précision redoutable notamment dans les grands déluges orchestraux, à la fois féroces et tragiques. Le chef soigne les enchaînements et les silences, passant avec fluidité d’une partie à l’autre, visiblement guidé par le sens global de l'œuvre, privilégiant la justesse au charme pour laisser le texte à nu.
Il peut également compter sur le Chœur de Radio France en grande forme (préparé par Alessandro Di Stefano) qui se montre particulièrement impliqué dès le murmure initial qui ouvre l'œuvre et se déchaîne quand il le faut. Les voix sont puissantes et homogènes, aux couleurs lyriques qui conviennent très bien à l'œuvre, la diction soignée et les intentions bien en place.
Côté solistes, appelée in extremis pour remplacer Juliana Grigoryan souffrante, Iwona Sobotka est remarquée dans la partie de soprano. Si les premières phrases laissent paraître un peu d’appréhension (bien explicable), la voix prend vite ses marques et offre le meilleur : un timbre brillant et rond, immédiatement sonore dans la Philharmonie (quitte à dominer le quatuor de solistes), des aigus sûrs et engagés, capables de s’alléger dans des sons filés qui impressionnent, surmontant avec musicalité les nombreuses difficultés de la partition. Le médium est bien présent, si ce n’est quelques notes un peu plus creuses dans la partie intermédiaire, et les graves sont poitrinés quand il le faut. Enfin l’interprète s’engage dans le texte avec une certaine forme de théâtralité, n'excluant pas une réelle sensibilité qui s’épanouit dans le “Libera me” final.
Ce soir, la mezzo-soprano c’est Marie-Nicole Lemieux : la voix n’est pas aujourd'hui sans afficher certaines griffures du temps, le son rond, un peu sourd au début et plus lumineux au fil de la soirée, les graves chauds et les aigus puissants même si parfois un peu poussés.
Mais c’est surtout sa présence et son interprétation que le public retient, la mezzo-soprano semblant chanter directement pour Riccardo Muti, yeux dans les yeux, suivant la moindre inflexion de sa baguette : un chant puissamment expressif et totalement dévoué à la partition.
L’italien Giovanni Sala chante la partie de ténor : l’instrument est d’une nature plutôt légère, parfois défavorisé dans les ensembles où le timbre se perd un peu, mais la ligne est d’une grande élégance, musicale, et les aigus sûrs, ce qui permet au chanteur de dessiner avec style la ligne de son air “Ingemisco”. Quelques petites hésitations entre la voix mixte et la voix pleine n’enlèvent rien à ce chant sur le souffle, capable de s’alléger quand il le faut, et à une interprétation intègre.
Enfin Maharram Huseynov complète la distribution : jeune basse venue d’Azerbaïdjan, le chanteur a pour lui un timbre riche et sombre, d’une résonance profonde dans le medium et dans les graves, ce qui donne une véritable assise au quatuor de solistes. La ligne ne manque pas de tenue, le chant est engagé dans le corps, les aigus sont bien là, manquant cependant un peu de liberté par moments. L’interprétation sobre est attentive aux mots et à l’énergie donnée par Riccardo Muti.
Le public applaudit avec chaleur et bravos toute l’équipe et c’est Riccardo Muti qui doit faire un signe pour mettre fin aux rappels.
C'est le grand retour de Riccardo Muti à la tête du @ChoeurRF et de @nationaldefce pour un Requiem de Verdi, en direct de la @philharmonie. Le plus grand chef verdien de notre temps est à l'œuvre... Un concert à ne pas manquer !@cl_rochefort https://t.co/CrS8khv9TG
— France Musique (@francemusique) 4 octobre 2024