Faust à Paris : attention, démon à l’œuvre
Créée en 2021 à huis-clos du fait de la pandémie de Covid, cette production du Faust de Charles Gounod fut reprise l’année suivante avec notamment Benjamin Bernheim dans le rôle-titre, Angel Blue et Christian van Horn. Volontairement spectaculaire, la mise en scène évolue avec force entre le monde du théâtre et celui du cinéma (Tobias Kratzer y puisant son expérience et ses affinités). Les images proposées sont souvent puissantes notamment au travers des projections vidéos (de Manuel Braun) qui montrent entre autres Faust et Méphistophélès survoler Paris ou le Diable provoquer intentionnellement l’embrasement de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
Contrairement à l’habitude, le personnage du Faust lui-même semble un peu relégué au second plan. Il apparaît, dans cette approche particulière, versatile et dénué d’un fier courage. Son pacte effectif avec le Diable qui lui garantit la jeunesse (non éternelle d’ailleurs, car il devra pour la pérenniser boire de nouveau au philtre magique au cours du déroulé de l’action), dissimule en fait l’attraction même du Démon pour Marguerite, vraie héroïne pure et infiniment pieuse. Méphisto use donc d’un subterfuge pour atteindre plus aisément l’âme et le corps de la jeune fille. Avant Faust lui-même, il abusera (ici) de Marguerite et un enfant-démon naîtra de cette union contre nature, enfant qui mourra noyé par les soins de sa mère dans une baignoire.
La mise en scène de Tobias Kratzer, reprise ici par Alejandro Stadler avec un soin tout particulier, est fort explicite, n’occultant rien du drame, lui donnant une résonance moderne et pour autant respectueuse de l’opéra de Gounod. La scène finale ouvre de nouvelles perspectives avec la rédemption de Marguerite par le sacrifice et la damnation du seul être qui l’aimait réellement, Siebel. De fait, ce personnage souvent sacrifié à la scène se pare ici d’une autre épaisseur dramatique. Heureuse initiative, Siebel outre son fameux air traditionnel “Faites-lui mes aveux”, se voit réattribué sa jolie romance du quatrième acte, "Versez vos chagrins dans mon âme". Certes, cette page musicale n’ajoute rien au plan strictement théâtral, mais elle offre le plaisir d’y entendre Marina Viotti dont les infinies couleurs vocales et le souci du legato font merveille.
Succédant à Benjamin Bernheim dans le rôle-titre, Pene Pati offre au public un chant maîtrisé et stylisé, entre mixage des registres et aigus resplendissants. Dans un français modèle, il parvient simplement à bouleverser par son style de grande allure et un engagement qui ne souffre d’aucun effort.
À ses côtés, Amina Edris (Marguerite) déploie un chant enchanteur, paré du frémissement et de la candeur qui sied à une jeune fille innocente. Le duo du jardin avec Faust démontre la maîtrise vocale et la complicité des deux interprètes réunis tant à la ville qu’à la scène. Plus engagée au plan scénique ensuite dans la scène de l’église (située ici dans une rame de métro) et dans la redoutable scène finale, Amina Edris ne parvient pas toujours à soutenir suffisamment la vaillance dans l’aigu et la largeur souhaitée. Mais il faudrait presque deux sopranos complémentaires, l’une plus lyrique, claire et lumineuse avant le basculement dans le péché, l’autre plus dramatique et corsée en seconde partie, pour assurer toutes les exigences du rôle.
En Méphistophélès, Alex Esposito se démène comme un « beau diable » justement, à la limite quelquefois de la grandiloquence et de l’effet de cape. Mais il démontre une santé vocale à toute épreuve, baryton-basse solide et d’une parfaite projection en salle. Seul le grave le plus profond demeure plus en retrait.
Florian Sempey reprend son rôle de Valentin comme d'une maturité nouvelle. La scène de la mort surtout marque les esprits, plus habitée, plus ressentie.
Sylvie Brunet-Grupposo campe une Dame Marthe savoureuse, très à l’écoute des virils guerriers revenant de la bataille et tout à fait à même de convoler avec le Diable en personne si besoin.
Le comédien Marc Diabira incarne avec conviction Faust âgé, tandis qu'Amin Ahangaran, membre de la Troupe Lyrique de l’Opéra national de Paris, prête sa voix ferme de basse au rôle de Wagner.
Absent depuis 25 ans du pupitre de l’Orchestre de l’Opéra, Emmanuel Villaume opère un retour remarqué à la baguette pour cette production de Faust. Sa parfaite connaissance du répertoire lyrique français lui permet d’inscrire l’ouvrage à sa juste place et de lui impulser toute la dynamique requise, allant de la retenue inquiétante du prologue aux éclats impérieux qui s’ensuivent. Ces éléments fondent une partition qui ne cesse toujours de surprendre par sa richesse évocatrice et ses beautés mélodiques. Le Chœur maison se taille la part du lion avec une interprétation survitaminée en soldats.
La salle de Bastille réserve un triomphe à cette reprise de Faust qui tient toutes les promesses de son pacte lyrique.