Deuxième cast de Carmen à Bastille : Abracadhamyan !
En ce dimanche après-midi, une distribution renouvelée prend le relais du duo Alagna-Margaine (dont nous vous rendions compte ici) dans l’incroyable série de 25 représentations de Carmen à Bastille. Parmi les quatre interprètes du rôle-titre (toutes en interview sur Ôlyrix !), c’est donc à Varduhi Abrahamyan (dont vous retrouvez l’interview complète ici) de prendre son tour, face au Don José de Bryan Hymel. Si la mise en scène provoque toujours de rares indignations, ce nouveau couple de chanteurs remporte, lui, des vivats. Plus généralement, le quatuor principal, qui ne compte aucun interprète français, offre la satisfaction d’une prononciation suffisamment bonne (dans les parties chantées du moins) pour rendre les surtitres accessoires.
Varduhi Abrahamyan et Bryan Hymel dans Carmen (© Vincent Pontet)
Varduhi Abrahamyan campe une Carmen à la fois bravache, fière et sûre de son pouvoir, mais aussi fragile et apeurée face à la violence de Don José (qui la laisse blessée à la fin de l’acte III). Sensuelle sans être réellement aguicheuse et encore moins vulgaire, elle confère au personnage une épaisseur théâtrale intéressante. Lorsque Don José interrompt sa danse pour répondre à l’appel de son régiment, elle ne se montre pas tant en colère que narquoise, perdant là une partie de la puissance narrative de la scène. Vocalement, elle dispose de graves d’airain, maléfiques et chauds, ouvrant large les voyelles et couvrant sa voix pour lui donner du lustre. Ses aigus sont doux et vibrants. Jamais très sonore, elle reste pourtant nuancée.
Bryan Hymel et Roberto Tagliavini dans Carmen (© Vincent Pontet)
Face à elle, Bryan Hymel est un Don José bonhomme, tombant peu à peu dans une dangereuse obsession qui le conduit dès l’acte III à une violence que sa stature rend impressionnante. La scène finale est ainsi particulièrement brutale : Abrahamyan, qui a alors troqué sa tenue Bohème pour une robe rose et bourgeoise, lui répond d’ailleurs un « Laisse-moi passer » proche du cri d’effroi. Un timbre nasal ne l’empêche pas de projeter de beaux aigus de ténor héroïque, puissants et contrôlés, qui scellent son succès dès son grand air « La fleur que tu m’avais jetée ». À la toute fin de l’opéra, après avoir tué sa maîtresse, c’est seul en scène, qu’il se dénonce au public qu’il regarde fixement.
Aleksandra Kurzak et Bryan Hymel dans Carmen (© Vincent Pontet)
Le reste de la distribution demeure identique à celle des premières représentations. Aleksandra Kurzak sort en tête à l’applaudimètre grâce à sa voix ciselée à l’émission puissante dans l’aigu et au timbre velouté mais moins audible de ses graves. Elle campe une Micaëla à la fois timide et à l’innocence charmante, dans son manteau blanc, replaçant régulièrement ses longs cheveux d’ébène derrière ses oreilles. Mais elle se montre également impulsive, lorsqu’elle vole un baisé fougueux à Don José ou qu’elle crache sur Carmen lors de sa dernière intervention. Son air « Je dis que rien ne m’épouvante » est vocalement magnifique, mais il lui manque l’expression corporelle qui peut le rendre bouleversant, lorsque l’interprète parvient à rendre visible le trop-plein d’émotions, de l’amour à l’effroi en passant par la foi ou la haine de Carmen, qui se bousculent, étouffés par la force de volonté de la jeune femme. Roberto Tagliavini, habitué de la scène de Bastille ces derniers mois, offre un Escamillo resplendissant. Élégant, il exerce une attraction sur les personnages féminins qui en fait le pendant parfait de Carmen, prêt, lui aussi, à mourir par amour ou par jeu. De ses graves larges et magnifiques à ses aigus brillants, il charme sur l’ensemble de sa tessiture, sans se départir de la puissance nécessaire au tribun qu’il incarne.
Santoni, Abrahamyan et Dennefeld dans Carmen par Calixto Bieito (© Vincent Pontet)
François Lis, belle basse, puissante et élégante, est un Zuniga martial à l’acte I mais dont le personnage est totalement ridicule par la suite lorsqu’imbibé d’alcool, il se traîne aux pieds de Carmen. Jean-Luc Ballestra chante un Moralès qui « regarde passer les gens » bien que la mise en scène ne fasse passer personne. Son timbre est agréable mais la voix manque de projection. Son personnage, flirtant avec l’obscène, permet au spectateur de bien comprendre pourquoi Micaëla ne souhaite pas s’attarder au milieu de ces soldats. Tyrannique, il fait préalablement courir en rond l’un des hommes de son régiment, qui finit par s’écrouler d’épuisement à la fin de la scène. Vannina Santoni (qui nous parlait de cette production dans son interview) et Antoinette Dennefeld (au déhanché ravageur) sont des interprètes de luxe pour les maigres rôles de Frasquita et Mercédès. Elles leur apportent toutefois un jeu scénique particulièrement convainquant, et de jolies voix -aux aigus cristallins pour l’une, et aux graves de velours pour l’autre-, que l’on apprécie notamment dans l’air des cartes. Enfin, Boris Grappe, très en vue, et François Rougier, plus en retrait, prêtent leurs traits et leurs voix au Dancaïre et au Remendado.
Rougier, Abrahamyan et Grappe dans Carmen par Calixto Bieito (© Vincent Pontet)
Le jeune Giacomo Sagripanti dirige l’Orchestre de l’Opéra de Paris d’un geste sobre et économe. L’ouverture colorée bouillonne au rythme festif du triangle brillant, mais la dispute des cigarières, prise sur un tempo lent, perd toute sa puissance dramatique et musicale. Il en va de même (en y ajoutant des décalages rythmiques) lors du chœur des bohémiens, au début de l’acte III. En revanche, l’acte IV est magistral de bout en bout : la scène de foule permet au Chœur et aux enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine de faire vibrer le public, délivrant toute la puissance que les habitués de la salle leur connaissent.
Carmen par Calixto Bieito (© Vincent Pontet)
La mise en scène de Calixto Bieito (reprise, rien que cette saison, à Boston, Oslo et Venise en plus de Paris !) est finalement bien plus sage qu’annoncée. Un danseur se prête certes à une chorégraphie de tauromachie dans un nu artistique, mais cela reste bien loin de toute vulgarité. Celle-ci ne réside finalement que dans les (inutiles) gestes des soldats vis-à-vis des cigarières, ou dans le fameux retrait de culotte de Carmen, dont se plaignait Anita Rachvelishvili dans son interview à Ôlyrix. Si quelques passages nuisent à l’expression musicale (le chœur d’enfants placé derrière les soldats rendant leurs voix moins audibles ou encore la scène chez Lillas Pastia, où l’ivresse des protagonistes peint un tableau convainquant sur le plan théâtral mais manquant singulièrement de puissance musicale), cette production offre aussi de beaux tableaux, comme l’immense taureau qui bascule vers le public, provoquant un bruissement dans les travées, ou la scène finale, particulièrement intense. Cette production restera à l’affiche pour 16 nouvelles représentations et conclura la saison de l’Opéra de Paris le 16 juillet avec une distribution all-star !
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