Béatrice et Bénédict à Garnier : le Berlioz nouveau est arrivé !
Le Cycle Berlioz est l’un des projets majeurs de la mandature de Stéphane Lissner, avec le cycle de créations contemporaines. Il a d’ailleurs fait l’objet de la mise en place d’un cercle de mécènes spécifique. Ce cycle s’est concrétisé l’an dernier par une Damnation de Faust marquée par la présence de Jonas Kaufmann (compte-rendu à lire ici). L’an prochain, il s’agira de Benvenuto Cellini qui bénéficiera de la mise en scène inspirée de Terry Gilliam. Des Troyens sont encore attendus l’année suivante. Face aux coûts importants de ces trois productions, l’opus de cette saison, Béatrice et Bénédicte, ne bénéficie « que » d’une mise en espace sur une date, afin d’équilibrer les comptes sur l’ensemble du projet. Cette proposition est pourtant loin d’être déceptive, tant la qualité musicale est là.
Les spectateurs n’ayant pas appris avant la représentation le remplacement de Stanislas de Barbeyrac par Paul Appleby (sur Ôlyrix, par exemple) dans le rôle de Bénédict ont dû être surpris, l’annonce n’en ayant pas été faite comme de coutume au début de la représentation. Si les quelques premiers mots parlés par le ténor américain (qui chantera Tom Rakewell dans le Rake's Progress d'Aix cet été) laissent craindre une prononciation marquée d’un fort accent, la magie opère bien vite : l’accent disparaît totalement dans le chant, laissant place à une diction française claire et parfaitement compréhensible. Son chant énergique est nourri d’intentions, produisant de beaux aigus. Son duo avec Stéphanie D’Oustrac (qui chantera de son côté Carmen à Aix), Béatrice expérimentée, fonctionne à merveille : leurs lignes de chant se marient (comme leurs personnages !), tant en termes de timbre vocal que de placement rythmique. Cette dernière dispose de médiums profonds et vibrants. Ses aigus gardent leur puissance malgré une agréable couverture vocale. Charismatique, elle tient la scène et l’attention du public tout au long de son air mélancolique de l’acte II.
Paul Appleby (© DR)
Dans le rôle d’Héro, la cousine de Béatrice, Sabine Devieilhe offre toute la grâce de sa ligne vocale, la pureté de ses aigus et l’éloquence de ses vocalises qui s’échappent avec aisance et subtilité de son timbre cristallin. Cette subtilité s’exprime avec intensité dans des piani parfaitement audibles, mais la met en peine dans les passages plus sonore, sa voix passant alors l’orchestre avec difficulté. Affûtée dans le jeu scénique, elle se montre tour à tour câline, moqueuse, amoureuse ou désespérée, mais toujours sincère. Son duo avec l’Ursule d’Aude Extrémo restera comme l’un des moments de grâce de cette soirée, sa voix flûtée se mélangeant de manière idoine à la chaleur brûlante du timbre de la mezzo-soprano.
Sabine Devieilhe (© Ouistiti)
À l’affiche de Trompe-la-Mort (lire ici notre compte-rendu), Laurent Naouri s’offre une parenthèse comique en interprétant Somarone. Veste dorée et nœud papillon pourpre, il crée un compositeur ridicule et auto-satisfait à souhait, prenant un plaisir manifeste à réaliser ces clowneries. Sa voix lumineuse met en valeur une prosodie parfaite, malgré l’immense énergie déployée pour encourager un chœur massacrant son œuvre dans une parfaite arythmie. Florian Sempey (lire ici sa récente interview à Ôlyrix) chante le rôle de Claudio, dont on parle beaucoup, mais qui chante peu (il n’a aucun air soliste). Pourtant son timbre riche et éclatant, puissamment projeté, donnerait bien envie d’en entendre plus. Enfin, François Lis complète le plateau vocal de son ample voix de basse et de la dignité conférée par son jeu à son personnage de Don Pedro.
La mise en espace, confiée à Stephen Taylor, reste peu lisible. Les rôles-titres sont doublés par des comédiens, qui, bien qu’excellents, n’apportent pas grand-chose tant les chanteurs choisis (et qui assurent également une partie des dialogues) sont à l’aise dans la comédie. Le texte, aussi mal maîtrisé par les chanteurs que par les comédiens, est d’ailleurs souvent éloigné de celui qui se trouve projeté en sur-titres. L’ajout d’une parenthèse issue de la pièce ayant servi de source au livret, Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, complique inutilement l’intrigue, puisque l’élément perturbateur, introduit comme un cheveu sur la soupe par ce passage parlé (comme l’avait déjà fait Laurent Pelly dans sa mise en scène), est aussitôt résolu : Héro, pourtant accusée d’adultère dans cet extrait, ne semble pas garder ombrage de ce douloureux incident.
Philippe Jordan (© JF Leclercq)
La battue de Philippe Jordan met quelques instants à obtenir la puissance musicale de l’Orchestre de l’Opéra de Paris : les premières minutes de l’ouverture semblent pesantes, avant que les pizzicati des violoncelles ne viennent réveiller les cuivres, qui résonnent alors dans une tempête orchestrale, comme seul Berlioz sait les écrire. La suite est un poème musical, d’une grande finesse d’interprétation, huilant les mécaniques comiques des passages de Somarone et amplifiant les sentiments exprimés sur la scène par les chanteurs. Le cycle Berlioz se poursuivra l’an prochain avec une mise en scène de Benvenuto Cellini qui devrait faire taire les critiques apparues sur les deux premiers opus !