Les Fêtes d’Hébé révèlent les artistes de l’Académie de l’Opéra de Paris
Après Owen Wingrave en décembre (lire notre compte-rendu), les jeunes de l’Académie de l’Opéra de Paris investissent de nouveau l’amphithéâtre de Bastille, revenant au baroque après l’Orfeo de l’an dernier (à revivre ici). Cette fois, c’est Rameau et ses Fêtes d’Hébé qui sont au programme. Pour l’occasion, la mise en scène est signée Thomas Lebrun. Comme un hommage aux productions portant la patte de Stéphane Lissner, le public retrouve dans cette mise en scène une imposante vidéo montrant des oiseaux ou encore des moutons en gros plan (rappelant bien sûr la production de la Damnation de Faust par Alvis Hermanis de la saison dernière). Comme dans celle de Cosi fan tutte mise en scène par Anne Teresa de Keersmaeker (compte-rendu ici), les chanteurs participent aux chorégraphies sur un plateau marqué de figures géométriques. Ces chorégraphies, parfois naïves et simplistes, et parfois magnifiques de poésie, sont remarquablement interprétées par six danseurs inspirés, aux regards impassibles et à la sensualité affirmée. Leur prestation est d’autant plus remarquable qu’ils sont présents sur scène durant une très large partie de la représentation, et qu’ils doivent maintenir la prestance de leurs pas dans des costumes parfois difficiles à porter.
Les Fêtes d'Hébé par Thomas Lebrun (© Studio J'adore ce que vous faites !)
Parmi les jeunes chanteurs impliqués, certains ressortent clairement dans ce répertoire spécifique. Le rôle-titre, interprété par Pauline Texier (qui chante également le rôle d’Eglé), en fait partie. Son phrasé est celui d’une spécialiste, qui fait oublier la présence de surtitres. Ses vocalises sont ciselées et ornementés avec raffinement, avec en pointe un vibrato tout en rondeur. Si la prestation pourrait encore gagner en nuances, elle offre également un beau jeu scénique, dont les expressions faciales, bien qu’exprimant son stress en début de soirée, sont pleines d’intensité. Son Eglé est ainsi pétillante, minaudant avec un charmant sourire faussement pudique. La soprano Adriana Gonzalez, qui interprète à la fois Sapho et Iphise, dispose d’une voix et d’un vibrato amples qu’elle émet avec puissance. Parfaite dans ses effets vocaux, elle allège ses aigus pour mieux appuyer ensuite ses médiums corsés. Laure Poissonnier interprète quant à elle l’Amour, un cœur collé sur la poitrine. Ses aigus ravissants vibrent avec grâce tandis que ses médiums affirmés disposent d’un timbre coloré.
Juan de Dios Mateos dans les Fêtes d'Hébé (© Studio J'adore ce que vous faites !)
Chez les hommes, Mikhail Timoshenko pourra encore perfectionner sa prononciation, mais il offre en Hymas et Tirtée de magnifiques graves, intensément vibrés dans un souffle parfaitement contrôlé. Sûr de lui, il parvient à se reprendre sans heurt lorsqu’une erreur de texte provoque un quart de temps d’hésitation à l’acte II. Déjà très convaincant l’an dernier dans le rôle-titre d’Orfeo, Tomasz Kumiega démontre une grande maturité vocale. Si sa prononciation française est également incertaine, il parvient à fermer ses « eu » et ses « ou », démontrant un potentiel d’amélioration en la matière. Sa voix est noble et puissante, notamment dans les médiums. Juan de Dios Mateos est Thélème puis Mercure. Son phrasé manque de relief, gêné par un souffle qui l’oblige à affaiblir ses fins de phrases. Il projette toutefois joliment sa voix, dont le timbre est concentré dans le masque. Ses aigus clairs lui permettent de montrer une belle agilité dans les vocalises, bien qu’il n’évite pas quelques fausses notes. Jean-François Marras dispose d’une voix brillante, puissante et bien émise, mais manque de précision, tant dans la justesse de ses notes que dans sa mise en place rythmique (ce qui oblige Pauline Texier à rattraper ses écarts dans le Prologue).
Tomasz Kumiega et Mikhail Timoshenko dans Les Fêtes d'Hébé (© Studio J'adore ce que vous faites !)
Quatre chanteurs issus du Royal College of Music de Londres complètent la distribution. Eleanor Penfold use avec agilité de sa voix légère et flûtée en Naïade et en Bergère. Joel Williams interprète un Ruisseau et un Oracle de sa voix claire aux fins aigus. James Atkinson est un Fleuve au phrasé subtil et à la ligne vocale nuancée. Enfin, Julieth Lozano réalise une attaque tonnante en Bergère, de sa voix tranchante, à l’aise dans les vocalises. Son phrasé gracieux ne laisse en revanche aucune chance au public qui souhaiterait se passer des surtitres. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (admirés il y a peu à Massy dans Chimène ou le Cid) ne sont pas exempts de décalages rythmiques, mais ils accomplissent les chorégraphies qui leurs sont dévolues avec sérieux et application. Ils offrent par ailleurs de belles couleurs vocales, ainsi qu’une puissance exemplaire. Jonathan Williams dirige sans baguette l’Orchestre baroque du Royal College. Si l’ensemble manque globalement de justesse et de liant, il offre de beaux passages, chaloupés, comme la chaconne de l’acte I, nuancée et rythmée. Très applaudis, les artistes de l’Académie reviendront dans deux mois à Bastille proposer une version pour enfants de Bastien et Bastienne de Mozart. De beaux artistes à suivre, donc !