Varduhi Abrahamyan : « Parfois les rêves se réalisent ! »
Varduhi Abrahamyan, vous répétez actuellement Carmen à l'Opéra Bastille : vous interpréterez le rôle-titre à partir du 2 avril. Vous connaissez cette production pour l'avoir chantée il y a deux mois à Palerme : pourriez-vous nous la décrire ?
Ce qui est intéressant, c'est que le fait de reprendre cette production avec de nouveaux collègues la rend très différente : c'en est presque une nouvelle. La mise en scène de Bieito (lire son interview à Ôlyrix) me plait beaucoup. Cette mise en scène demande beaucoup d'énergie. Il y a beaucoup de théâtre. Nous cherchons à faire croire au public que ce qui se passe sur scène est une histoire vraie qui se déroule sous ses yeux. Le décor est assez minimaliste : il nous revient de créer des personnages forts qui occupent l'espace. Carmen est une femme volcanique : elle doit maintenir la flamme du début à la fin. Ce qui est magnifique, c'est que cela oblige à tout donner.
Quelle est la vision de Calixto Bieito du personnage de Carmen ?
C'est une femme forte qui sait ce qu'elle veut. Elle est rebelle et aime la vie. Il est rare qu'elle aime quelqu'un : elle a cru que cela lui était arrivé, mais elle découvre à la fin que ce n'est pas le cas. Elle est prête à tout pour profiter de la vie à sa façon. J'essaie d'en faire une femme non pas vulgaire, mais polissonne.
Varduhi Abrahamyan dans Carmen mis en scène par Calixto Bieito (© DR)
Est-ce que cela correspond à votre vision du personnage ?
Ma vision change à chaque fois que je l'interprète. En travaillant le rôle, de nouvelles couleurs s'ajoutent à son caractère. Par contre, je ne l'ai jamais vue vulgaire, mais plutôt sensuelle.
Quel est l'aspect vocal ou scénique que vous souhaitez encore approfondir malgré vos nombreuses interprétations du personnage ?
J'essaie chaque fois de donner le meilleur de moi-même, sur scène comme dans la vie, d'ailleurs. Que ce soit vocalement ou scéniquement, j'essaie toujours d'approfondir mon interprétation. Je découvre régulièrement de nouvelles choses, mais cela se fait dans le travail : je ne sais pas si ce sera le cas lors de la répétition de demain, ou sur scène dans deux mois : c'est toujours inattendu.
Vous resterez ensuite à Paris pour Eugène Onéguine : vous chanterez Olga pour la première fois. Pouvez-vous nous présenter le personnage ?
Elle est pétillante ! Sa perception de la vie est à l'opposé de celle de Tatyana. Elle est imprégnée d'une grande légèreté mais n'a pas la profondeur de Carmen.
Vous chanterez toutes les dates d'une distribution qui comprend Anna Netrebko puis Nicole Car en Tatyana et Peter Mattei dans le rôle-titre : qu'attendez-vous de cette production ?
J'ai beaucoup d'admiration pour ces chanteurs et Anna Netrebko en fait partie : j'aime tellement ce qu'elle fait ! J'ai ressenti une grande joie lorsque j'ai appris que je chanterai avec elle. J'ai hâte de débuter les répétitions, le 24 avril !
Connaissez-vous la mise en scène de Willy Decker ?
Non, pas encore. J'aime avoir la surprise. Il m'est arrivé de regarder un enregistrement d'une production, mais cela présente peu d'intérêt car ce que l'on fait lorsque les répétitions débutent est souvent très différent, chaque chanteur apportant ce qu'il est, même si la ligne directrice reste la même.
Réservez vite vos places pour Eugène Onéguine !
Varduhi Abrahamyan (© DR)
Vous serez de nouveau sur la scène de Bastille à la rentrée pour Falstaff de Verdi, pour votre prise du rôle de Dame Quickly. Il s'agit d'un rôle comique : en quoi est-ce intéressant à interpréter ?
Je vais être très différente : je vais tout faire pour que ce soit le plus drôle possible. Le texte et la musique nous y aident, car tout y est déjà très drôle. Mon travail reste en revanche le même que pour toute autre partition.
Comment travaillez-vous vos prises de rôles ?
Comme n'importe quel rôle que j'ai déjà chanté. Je commence par m'intéresser à l'histoire et aux interactions entre les personnages. Puis, je me concentre sur ma partie. Je travaille beaucoup sur les petits détails, que personne ne verra, mais qui font selon moi la différence et surtout, qui m'ont permis de progresser. Je peaufine ensuite avec mon chef de chant. Je vais généralement voir mon coach deux ou trois jours pour que tout soit en place. C'est important pour moi. Lorsque tout est prêt, je travaille le caractère du personnage pour y apporter mes propres saveurs. Je ne travaille toutefois pas le rôle théâtralement : le jeu est dans ma nature et j'aime garder la spontanéité. Durant les répétitions, je me laisse porter par ce que j'ai en moi.
Avez-vous déjà planifié de revenir à Paris les saisons suivantes ?
Je reviendrai lors de la saison 2018/2019 pour une prise de rôle dans le répertoire italien.
Quels sont les autres projets dont vous pouvez nous parler ?
Je vais chanter Carmen, que j'aime tant, à Zurich, Munich et au Théâtre Verdi de Salerne. Je chanterai la Damnation de Faust pour ma prise du rôle de Marguerite. Je chanterai également Semiramide à Pesaro avec Michele Mariotti. J'ai déjà travaillé avec lui sur la Dame du lac mis en scène par Damiano Michieletto avec Juan Diego Florez, et pour lequel il y a eu un enregistrement : quand on s'entend bien avec un chef d'orchestre et qu'il nous ouvre de nouvelles voies d'interprétation, c'est extraordinaire. C'est ce qui s'est passé avec Mariotti. Je suis donc ravie de faire partie de ce projet.
Mon calendrier est chargé de rôles qui correspondent parfaitement à ma voix, et ce jusqu'en 2020. Mon agent adoré, Gianluca Macheda, m'aide en cela et je lui fait confiance. Bien sûr, je ne sais pas ce qui m'arrivera ou la manière dont ma voix évoluera d'ici là.
Vous avez commencé le chant en Arménie puis avez poursuivi votre formation à Marseille. Que retenez-vous de ces années ?
L'Arménie est ma mère et la France est mon père
Je suis arrivée en France en 2000 sans parler la langue et sans connaitre qui que ce soit. Je suis entrée au Conservatoire et j'y ai rencontré cinq ans plus tard mon premier agent. Mon premier engagement a été à l'Opéra de Paris, dans le rôle de Maddalena dans Rigoletto : ils m'ont accordé cette confiance ! C'est Daniel Oren qui dirigeait. La France m'a ouvert les portes. Je suis très reconnaissante à ce pays. Je dis toujours que l'Arménie est ma mère et que la France est mon père.
Quelles sont les autres grandes étapes de votre carrière ?
J'ai toujours essayé d'avancer petit à petit tout en progressant et les directeurs m'ont ensuite proposé de nouveaux rôles. Quand j'ai eu la proposition de chanter Adalgisa dans Norma avec Mariella Devia à Valence, c'était une grande responsabilité, car le rôle est écrit pour une soprano II, alors que je suis mezzo-soprano. C'est probablement le rôle qui m'a demandé le plus de travail dans ma carrière. J'ai donc demandé à Mariella Devia si je pouvais travailler avec elle. Elle a accepté et elle m'a énormément apporté techniquement. C'est une personne magnifique. Sa rencontre a changé beaucoup de choses pour moi. C'est ainsi que chaque fois que j'ouvre une porte, il y en a une autre derrière qui m'emmène un peu plus loin.
Duo extrait de Norma, interprété par Varduhi Abrahamyan et Mariella Devia :
Comment avez-vous réagi quand votre premier rôle à l'Opéra de Paris vous a été offert ?
J'ai eu peur ! Quand on n'a pas d'expérience, on est très content d'avoir des engagements, mais cela fait aussi très peur. On se dit vite qu'on peut le faire, puisque d'autres l'ont fait ! La formule magique, c'est de beaucoup travailler.
Quel est votre rapport au répertoire baroque que vous avez régulièrement abordé ?
C'est important de travailler avec des gens qui apportent une atmosphère familiale
Le rapport avec le répertoire baroque cela se fait surtout au gré des propositions. J'ai ainsi chanté avec Cecilia Bartoli que j'aime beaucoup. Nous reprendrons Alcina au Théâtre des Champs-Elysées, dans une très jolie mise en scène de Christof Loy [créée à Zurich en début d'année, avec Philippe Jaroussky et Julie Fuchs, ndlr]. J'aime tellement cette mise en scène que j'avais envie de la reprendre. Et puis Bartoli est une cantatrice très professionnelle et une personne extraordinaire et d'une grande simplicité dans les rapports humains. On passe onze mois par an loin de chez nous : c'est important de travailler avec des gens qui apportent une atmosphère familiale, ce qui est toujours le cas avec Cecilia.
Quel rôle, pourtant adapté à votre voix et que l'on vous propose, refusez-vous aujourd'hui de chanter ?
Je recherche des rôles plus intéressants aussi bien vocalement que théâtralement. Je crois que je ne chanterai plus Polinesso dans Ariodante : c'est un personnage très méchant, du début à la fin. Par ailleurs, l'écriture des airs m'intéresse peu. Il faut vraiment que la production soit exceptionnelle, comme ce fut le cas lorsque je l'ai chanté à Toronto. Le personnage était traité avec beaucoup d'humour, ce qui était intéressant.
Lorsque vous vous projetez dans cinq ou dix ans, quels sont les rôles que vous souhaiteriez chanter ?
J'aimerais chanter Eboli dans Don Carlos. J'ai d'ailleurs déjà reçu une proposition pour le chanter dans quatre ans : je vais sans doute accepter. Amnéris dans Aida fait également partie de mes objectif. Et puis, dans le répertoire français que j'aime beaucoup, je voudrais chanter Charlotte dans Werther. J'aime le personnage, la langue, la mélodie.
Avez-vous un rêve artistique ?
Parfois les rêves se réalisent !
Je n'ai jamais chanté en Arménie. J'aimerais donc organiser un concert avec tous les collègues que j'aime pour leur montrer mon pays. Ceux que j'aimerais y inviter sont trop nombreux pour tous les citer, mais j'aimerais qu'il y ait Gregory Kunde, Cecilia Bartoli ou encore Brian Hymel que j'ai découvert sur cette production. Terry Gilliam pourrait peut-être faire une mise en espace. Michele Mariotti et Roberto Abbado tiendraient la baguette !
C'est un rêve, mais parfois les rêves se réalisent ! Quand je suis arrivée en France, j'ai visité l'Opéra Garnier. Je me suis dit que ça devait être fabuleux d'y chanter, sans penser un instant que je pourrais le faire un jour. Dix ans plus tard, j'étais sur la scène.