Le Retour d’Ulysse au TCE : des bravi pour tous
Pour ce Retour d'Ulysse dans sa Patrie de Monteverdi, le traditionnel rideau du TCE est remplacé par une toile peinte représentant la mer, découpée en fines bandes se mouvant au gré des courants d’air de la salle, donnant l’impression de distinguer le roulis des flots de ce paysage sur lequel les yeux de Pénélope se fixent depuis vingt ans. Comme elle l’a expliqué dans son interview à Ôlyrix (à lire ici), Mariame Clément a choisi de mixer les esthétiques pour sa mise en scène. Le décor est construit sur trois niveaux : celui des simples mortels se tient au premier plan, celui des demi-dieux et monarques au second, et enfin celui des dieux au troisième. Les références à l’art sont multiples, du cinéma de Tarantino aux dessins animés Ulysse et Batman, avec ses bulles indiquant les « boum » et les « splatch » figurant la violence des combats dans une esthétique visuelle proche du Pop art. La télévision est figurée par la lucarne des dieux, au troisième plan, qui s’avance jusqu’à l’avant-scène produisant un effet de travelling avant. Enfin, le costume de vieillard porté par Ulysse semble s’inspirer des mangas. La mise en scène fourmille par ailleurs de trouvailles, comme la représentation de l’Olympe en bistrot dans lequel un Neptune / Capitaine Hadock se dispute avec un Jupiter ventripotent, et joue aux fléchettes sans se soucier des conséquences que ce jeu a sur les humains : les personnages divins sont très caractérisés, drôles et bien incarnés. Durant le prologue, la Fragilité humaine (qui porte un costume proche de celui d’Ulysse) est tiraillée par le Temps, pilote de Formule 1 boiteux, la Fortune qui fait rouler sa roue, et l’Amour. Innombrables sont ainsi les clins d’œil, les anachronismes et les interprétations, dans un ensemble cohérent et signifiant.
Rolando Villazón et Kresimir Spicer dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Tête d’affiche, Rolando Villazon apparaît transformé par une barbe et une perruque de crâne chauve. Bien sûr, sa voix est en constante tension, dégageant un son mat, déraillant souvent dans des aigus forcés que sa technique ne peut masquer. Pourtant, ses graves barytonnant gardent une texture suave et corsée et son phrasé est parfaitement distinct, chaque syllabe étant détachée. Surtout, son expression scénique reste vibrante et engagée. Il parvient à transformer radicalement sa démarche lorsqu’il se déguise en vieillard, se faisant alors discret et ramassé, pour mieux laisser éclater son charisme et son autorité une fois son apparence de demi-dieu retrouvée. Face à lui, Magdalena Kožená interprète une Pénélope altière au vibrato rapide et à la voix charnelle et charnue. Ses récitatifs sont pleins d’ardeur, notamment dans le premier acte, lorsqu’elle pleure son mari, agenouillée sur son lit, des sanglots dans la voix. La seule faiblesse apparaît lorsqu’elle doit chanter allongée : la voix se tend alors et les fins de phrases disparaissent. Le public apprécie particulièrement sa danse de joie finale, à la fois gracieuse et emprunte d’abandon, ses vocalises s’envolant alors vers les balcons du théâtre.
Rolando Villazón et Anne-Catherine Gillet dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Anne-Catherine Gillet obtient également un grand succès grâce à son jeu pétillant et à sa voix fine, pure et agile, qui lui permet d’enchaîner avec délicatesse ses trilles, vocalises, mélismes et notes piquées. Elle parvient à dynamiser les scènes auxquelles elle prend part par la vitalité de ses interventions, qui montrent les progrès éblouissants qu’elle a faits dans son expression scénique en l’espace de quelques années. Kresimir Spicer est un bel Eumée, humble et loyal, doté d’un timbre clair et d’une voix douce, également capable de grands effets de puissance : il allège alors ses fins de phrases afin de rendre la simplicité de son personnage. Mathias Vidal campe un Télémaque survolté, à la voix claire dont le timbre charme. Son articulation est soignée, et s'il se rend coupable de quelques défauts de justesse, il se montre capable de belles nuances.
Rolando Villazón et Mathias Vidal dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Callum Thorpe, qui interprète le prétendant Antinoüs (et le Temps dans le prologue), est à l’aise dans les vocalises, produisant des graves profonds et pénétrants. Lothar Odinius chante quant à lui Amphinome et Jupiter d’une voix claire et homogène employant un phrasé gracieux. Le troisième prétendant, Pisandre, est interprété par le contre-ténor Maarten Engeltjes (qui est aussi La fragilité humaine), dont le timbre pur et solaire résonne puissamment.
Callum Thorpe et Madgalena Kozena dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Isabelle Druet chante la servante Mélantho (ainsi que la Fortune) : sa voix ronde émise depuis la poitrine reste droite lorsqu'elle tient ses notes, avant une résolution intensifiée par un vibrato mutin. Très à l’aise dans le jeu, elle offre à son personnage un éclat qui lui vaut des applaudissements nourris au moment des saluts. Emiliano Gonzalez Toro campe son amant, Eurymaque. Il couvre joliment sa voix pour lui donner un reflet patiné. Le résultat est gracieux et bien projeté. La voix est agile et le jeu convainquant. Le duo des deux amants reste l’un des beaux moments de la soirée, leurs voix se mariant en timbre et en nuance, exprimant un amour mutuel et ardent. Jörg Schneider est un parfait Irus. Vocalement, il offre un monologue radieux, affichant une longueur de souffle lui permettant de tenir ses exclamations plusieurs mesures sans que sa ligne n’en pâtisse en fin phrase. Scéniquement, il offre une prestation drôle et attachante bien que le personnage soit odieux. Elodie Méchain malade (le directeur du Théâtre, Michel Franck, annonçait même en début de représentation que 11 des 15 solistes avaient été malades depuis le début des répétitions), elle est remplacée par Mary-Ellen Nesi qui s’apprête à interpréter ce rôle d’Euryclée à la Monnaie, et qui offre à ses deux courtes interventions une voix poitrinée aux graves sentencieux.
Magdalena Kozena, Emiliano Gonzalez-Toro et Isabelle Druet dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Hormis Odinius et Gillet, le monde des dieux s'offre le luxe d'accueillir le Neptune de Jean Teitgen (lire son interview à Ôlyrix ici), dont la voix puissante et résonnante est profonde, ne manquant pas de lumière, ainsi que Katherine Watson, qui tire le meilleur de son court rôle de Junon grâce à des aigus très purs, émis dans un joli filet de voix, dont la légèreté envoûte.
Magdalena Kozena entourée de ses prétendants dans Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie (© Vincent Pontet)
Emmanuelle Haïm dirige le Concert d’Astrée, qui exalte les passages lyriques de l’œuvre tout en accompagnant le comique des situations concernées. Le continuo, si important dans ces œuvres à fortes composantes déclamatives, est très attentif aux chanteurs et insuffle une énergie qui rythme l’action et le propos.
Réservez vos places pour Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie au Théâtre des Champs-Élysées (en cliquant ici), ou à Dijon où cette production est reprise dans la foulée (en cliquant ici).