Récital Patrizia Ciofi à l'Éléphant Paname : l’instant expressionniste
Ce 24ème instant lyrique de l'Eléphant Paname, le 5ème de la saison, met à l'honneur la soprano italienne Patrizia Ciofi qui a écumé les plus grandes salles d'Opéra. Sa réputation la précède au point qu'une nuée d'applaudissements et même de bravi accueille déjà son entrée. Dès le début du programme et les premières romances de Fauré, Patrizia Ciofi déploie sa voix et son jeu avec une expressivité maximale, superlative. Sa ligne fluctue dans des vagues océaniques, les notes se rejoignent par des glissements en portamento, les mains se meuvent incessamment : tendues comme un bouclier, recueillies sur la poitrine ou en poings serrés. Ajoutant à cette interprétation expressionniste, son maquillage appuyé accentue le drame de son visage : l'ouverture écarquillée des yeux, le doux arrondi puis l'étiré tendu de la bouche. La voix est à l'image de ces traits : douce, feutrée, emplie d'air chaud, elle se déchire subitement dans des aigus terribles, grinçants au début du récital mais de plus en plus soutenus et placés, et même triomphants en fin de soirée.
Patrizia Ciofi (© Studio Harcourt)
Les mélodies françaises et les grands airs d'opéras qui suivent sont réunis dans une succession continue de mélodrames expressionnistes, pleins de soupirs, de pleurs, de tragique. La main s'envole pour mimer Le Papillon et la fleur en un corps agité, désespérant de ne pouvoir atteindre son amant. Flore, faune, personnages ou concepts, Ciofi incarne tous ceux qu'elle chante. Par empathie, elle souffre visiblement sur "Hai luli" les onomatopées pleurant la perte de son ami dans la mélodie éponyme de Pauline Viardot. Pour laisser à la chanteuse toute l'éloquence expressive, le piano tenu par Carmen Santoro reste en demi-teinte, comme si la feutrine de ses marteaux s’épaississaient.
La dramatisation du propos ne rend pas la prononciation de Ciofi inintelligible, à l'exception des mélodies de Duparc où la chanteuse doit déformer des voyelles pour atteindre difficilement certains aigus. Le récital bascule ensuite vers les airs d'opéra. Tandis que l'accompagnatrice pianote de ses doigts graciles l'air "O nube che lieve...Nella pace del mesto riposo" de Marie Stuart (Donizetti), les lignes de chant commencent serrées et grinçantes mais finissent dans un aigu rayonnant au vibrato homogène. L'interprète fait ensuite le choix de prononcer la deuxième partie de l'air comme un récitatif ponctué de notes glorieuses, tapant bruyamment du pied avant une note finale époumonée, triomphalement tenue et vibrée qui soulève des bravi assourdissants. Le public bat même le rappel dès avant l'antépénultième morceau "Eccomi in lieta vesta... Oh quante volte..." (Les Capulet et les Montaigu de Bellini). Ciofi revient alors, s'excusant d'être sortie pour changer ses chaussures, qui lui faisaient mal aux pieds. Gagnant encore en assurance, en altitude, en volume mais aussi en intensité vocale (y compris dans les nuances piano), elle émeut aux larmes, accompagnée par une pianiste toujours aussi délicate. Le programme s'achève avec "À vos jeux mes amis... Pâle et blonde..." tiré d'Hamlet composé par Ambroise Thomas. Ciofi parcourt les vocalises et les trilles de la folie d'une bouche tordue. Ce délire culmine dans un fortissimo sonore et pathétique comme un hurlement mais parfaitement lyrique, un cri auquel répondent les félicitations de l'auditoire. Avec ces brusques passages d'un calme trompeur à des déchirements sonores, cet air, véritable drame à lui seul et opéra miniature n'est pas sans rappeler la légendaire scène de la Folie dans Lucia di Lammermoor de Donizetti (sublimée récemment à Paris par Pretty Yende, comme nous en rendions compte ici).
Patrizia Ciofi (© Jean-Pierre Maurin)
Ciofi ne pouvait dédaigner les traditionnels bis, mais elle les offre d'une manière aussi généreuse et fantasque que sa personne et son chant. Elle prend ainsi la parole à la fin du programme : « Pour moi, c'est déjà assez, je pourrais aller dormir, mais je vous montre le menu des bis et vous choisissez, comme dans un juke-box ! ». Ravis, les spectateurs, qui ne sont dans cette salles qu'à quelques mètres de l'artiste, manifestent bruyamment leur sélection de digestif musical préféré dans la liste : "La canzone di Doretta" (La rondine de Puccini), "Je veux vivre" (Roméo et Juliette de Gounod), Les Filles de Cadix (Léo Delibes) qui recueille la majorité des voix (... mais dont Ciofi n'a pas la partition). Louise de Charpentier emporte le morceau et le public n'aura pas à regretter son choix avec l'amusant baiser prononcé "bisou", ainsi que le texte expressif : « Et je tremble délicieusement Au souvenir charmant Du premier jour d'amour ! ». Ciofi remet ensuite deux pièces dans le juke-box, interprétant la "Valse de Musetta" dans La Bohème de Puccini, expressive en diable avant d'expirer dans un subito mezzo piano. Le troisième bis est une Rondine (Puccini) taquine mais profonde. Alors que la salle se rallume, le régisseur plein de ressource apporte même une partition miraculeusement retrouvée, afin que Ciofi interprète en quatrième bis Les Filles de Cadix, sensuelles et flamenco. Le délire est total, la standing ovation spontanée.
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